Il y a 21 mois, le coronavirus est rentré dans ma vie professionnelle, en décembre 2019, et comme pour beaucoup, à ce moment là, il était tout simplement impossible de mesurer la portée de ce que cela signifiait réellement. Etant slasher / entrepreneur de longue date (2001, création de ma startup peu avant un tristement célèbre 11 septembre), mon quotidien professionnel se structure depuis toujours autour de deux sujets, le marketing sensoriel pour les enseignes et les marques et l’adoption des innovations de rupture dans l’enseignement supérieur. Cette position hybride entre l’enseignement supérieur et le monde de l’entreprise a été une fenêtre assez unique d’observation sur la période coronavirus.
Presque deux ans plus tard, dans un moment de répit (que certains anticipent de durée courte) – ou le new normal ? -, voici quelques réflexions, nécessairement transversales, autour de cette expérience inattendue, exceptionnelle et unique liée à la Covid-19…
L’essentiel n’apparaît que quand il est retiré
Ce que je retiens en premier est que l’on ne se rend compte de ce qui nous est essentiel que quand il nous est retiré. Malheureusement, les confinements successifs (plus ou moins stricts) ont fait apparaître de très nombreux exemples.
On sait aujourd’hui que les cours en présentiel ont manqué aux étudiants, que la machine à café (et les échanges informels autour) manque dans le cadre d’un télétravail complet imposé, certains produits ou services qualifiés du jour au lendemain de « non essentiels » manquaient eux aussi cruellement (sans compter le bazar occasionné dans les magasins ouverts car essentiels, mais vendant aussi ces produits « non essentiels »), sans parler des lieux de vie et de culture fermés sine die (musée, cinémas, théâtres, etc.). A travers ces moments non choisis, chacun a pu conscientiser à travers ces privations ce qui finalement lui était essentiel (ou non) et s’il/elle semblait essentiel(le) à la société… cela n’a l’air de rien, mais cela peut changer assez significativement les habitudes de chacun et par conséquent celles d’une société entière.
Une société numérique à multiple vitesse
Le numérique a permis une réelle continuité d’activité dans de très nombreux secteurs, sans compter la remontée possible des chiffres grâce à la démarche d’open data. Toutefois, la période fut une occasion assez nette pour constater des inégalités criantes au regard de la maîtrise de l’outil numérique dans le pays. Au niveau des infrastructures avec des zones couvertes en haut (voire) très haut débit et des foyers bénéficiant d’une connexion performante à opposer à des connexions instables, de bas débit ou saturées… malheureusement encore très (trop ?) nombreuses.
Un niveau d’équipement numérique des organisations ou des foyers pas toujours en phase avec une logique de téléenseignement, télétravail ou télé-activité à haute dose. Mais aussi un niveau d’équipement des entreprises ou organisations insuffisants pour permettre le télétravail dans de bonnes conditions : à titre d’exemple, souvenons-nous ici des multiples saturations serveurs d’instances ministérielles. Il n’y a pas de bons services numériques sans un bon hébergement des applications numériques ! Sur ces sujets, il faut toujours gérer le flux moyen ET les effets de pic de connexions !
Un niveau de culture numérique très variable impliquant de ce fait un niveau d’usage et de performance très variables. Ici, il est possible de pointer le manque criant dans certaines professions d’une réelle maîtrise de ces outils. On n’improvise pas une classe à distance, on n’improvise pas une activité e-commerce, ou la numérisation de son activité professionnelle. Les métiers associés au numérique sont devenus nombreux, précis, pointus, spécifiques. La notion de webmaster n’existe plus et fait place à de multiples métiers spécifiques pour animer « créer son site web » (source APEC, un peu ancienne, mais le phénomène a continué depuis 2013 avec l’UX/UI par exemple, le responsive design, etc.) :
Il faut le répéter, le numérique dans la société actuelle n’est plus une option, il faut le présenter, l’expliquer, le comprendre, l’expérimenter, le maîtriser pour en tirer tout l’intérêt dans son quotidien et aussi en limiter / éviter les désagréments tels que les cyberattaques, le cyberharcèlement, la surconsommation de numérique et la dépendance, les fake news, etc. Aujourd’hui, on voit que de très nombreux efforts sont encore à mener dans le développement d’une culture du numérique auprès de tous !
Le monde de l’enseignement doit prendre sa part de responsabilité sur ce sujet et former dès le plus jeune âge et tout au long de la vie à la culture numérique.
Pour autant, le tout numérique n’est pas souhaitable
Les périodes de confinement ont montré ce que nous n’avions encore jamais expérimenté : le tout numérique à longueur de journées ! Cette crise fut une occasion assez unique de constater les limites du tout numérique, tout distanciel, tout chez soi… les manques liés au tout numérique se sont manifestés de multiples manières dans la période avec certes des contrevenants au confinement, mais aussi de la fatigue extrême liée au surplus de réunions, à la rotation plus élevée des sujets et au phénomène de « Zoom fatigue » (lié à sa vigilance accrue, webcam allumée), au ghosting (disparaître de la circulation / d’une réunion sans rien dire) qui s’est accentué, une demande claire des étudiants et des professeurs de revenir au plus tôt sur les campus, un besoin pour les magasins et le lieux de rouvrir au plus vite, etc. et on le voit un retour à la « vie normale » avec un plaisir non dissimulé.
Si tant est qu’une preuve était encore nécessaire, l’humain n’est pas fait pour une vie purement numérique faite d’une extrême rationalité, dépourvue d’imprévu, de rencontres, d’échanges et de discussions informelles, avec peu d’expressivité, d’émotion et finalement … d’humanité.
Transformation numérique : ne pas confondre vitesse et précipitation
Le célèbre cabinet Mc Kinsey l’a établi clairement à travers une étude conduite en juillet 2020 auprès de 900 cadres à travers le monde. Oui, la pandémie a été un formidable accélérateur dans la transformation digitale de nos environnements professionnels, même si nous avons observé des variations en matière de secteurs, l’industrie des biens de consommation et l’automobile ayant finalement été peu impactées comparativement à l’industrie pharmaceutique ou le secteur des services financiers et professionnels par exemple. Cette révolution du tout digital n’est plus discutable, mais saura-t-elle s’inscrire dans le temps ?
Avant la crise sanitaire, le numérique figurait en bonne place sur les ordres du jour de comités de direction sans pour autant passer en tête des priorités stratégiques. Pourquoi ? D’abord, car l’optimisation des couts prévalait malgré tout, là où la digitalisation implique systématiquement des investissements souvent lourds et des ressources dédiées à son implémentation. Aussi, car les blocages en interne étaient nombreux. Immaturité des infrastructures, certaine résistance au changement, silos organisationnels… Toute une philosophie d’entreprise à revoir.
Une société durablement transformée par la pandémie ?
Maintenant c’est fait ! Nos organisations ont pris ce fameux virage. Mais gardons en tête que si cette digitalisation massive amène avec elle son lot d’opportunités, elle n’est pas exempte de contraintes voire de risques.
En effet, les habitudes créées pendant la crise vont avoir la vie dure : le travail en nomadisme numérique (pourquoi travailler au bureau, ou même de chez soi ?) qui à termes peut amener une véritable reconfiguration des villes voire des territoires, la consommation en ligne exacerbée avec hausse très forte du click & collect qui peut amener à repenser l’expérience de shopping, les rapports sociaux modifiés, les réunions en ligne ou en hybride (voire en réalité virtuelle ou dans des mondes persistants), etc.
l’humain n’aura jamais eu autant sa place dans un environnement numérique. A l’heure de l’intelligence artificielle, il faut croire plus que jamais croire à l’intelligence humaine !
Nous devons désormais nous focaliser sur le long terme. Les opportunités d’innovation seront bien réelles dans le monde d’après et le #FutureOfWork est à constuire. Mais il faudra veiller pour cela à y allouer les ressources adéquates. Car même si la tentation est grande, ne faisons pas rimer accélération avec précipitation. Pour afficher des politiques de transformations digitales solides et des stratégies numériques pérennes et profitables, les organisations ne devront pas rogner ni sur la qualité des infrastructures ni sur la formation des collaborateurs.