Dans mon précédent article qui portait sur l’analyse du rapport « ChatGPT, et après », j’évoquais de me risquer à l’exercice de faire des propositions. Alors fort des très nombreux échanges que j’ai pu avoir en France et à l’international sur le sujet. Je vous livre 5 propositions pour faire bouger les lignes en France autour des intelligences artificielles dans les deux ans.
Proposition 1 : Accélérer la formation continue sur l’IA pour les actifs en emploi – IA pour tous
Pour garantir que la France reste compétitive dans un monde où l’intelligence artificielle (IA) redéfinit les pratiques professionnelles, nous devons prioriser la formation continue pour les actifs. Les salariés et entrepreneurs des PME/ETI, en particulier, peinent à adopter des outils d’IA par manque de compétences en interne. Les grands groupes sont un peu moins touchés, même si des difficultés d’adoption et d’appropriation seront fortement présentes compte tenu de la taille des organisations.
L’idée c’est de proposer un programme national baptisé « IA pour tous : booster vos compétences », axé sur des formations courtes et pragmatiques (et non longues et élitistes telles que ce qui est déployé actuellement) :
- Modules proposés : Automatisation des tâches, création de tableaux de bord intelligents, optimisation des processus grâce à des IA préformées (comme les outils de transcription ou d’analyse d’image), aide au prototypage rapide, automatisation de communication, gestion de la relation client, amélioration continue et entraînement (sur des compétences métiers) à base d’IA, etc.
- Plateformes : Ces formations pourraient être accessibles sur des plateformes reconnues comme Mon Compte Formation, avec une certification à la clé en s’appuyant sur le savoir-faire de quelques établissements déjà en pointe sur ce type de sujet.
- Exemple concret : Une PME de logistique pourrait former ses employés à l’utilisation de logiciels d’optimisation de tournées basés sur l’IA, économisant ainsi 20 % de temps et de carburant. C’est green, ça fait gagner de la performance et rend la PME plus compétitive.
Cela aurait pour impact de démocratiser l’IA dans les entreprises françaises en visant un pool de 500 000 professionnels pour leur faire acquérir des compétences IA d’ici 2027. Un pari essentiel pour renforcer la compétitivité des entreprises locales et densifier notre tissu économique. L’objectif serait de ne pas être dépendant des acteurs technologiques pour opérer ces formations.
Proposition 2 : Créer un fonds souverain pour financer des projets stratégiques d’IA
La souveraineté numérique ne peut être assurée sans un financement ciblé des projets clés, majeurs et transformatifs. Ce second axe vise à lancer un « Fonds IA Souveraine », doté de cinq milliard d’euros sur cinq ans, dédié à des initiatives (réellement) stratégiques.
- Domaines prioritaires : IA pour la santé (diagnostics augmentés, IA prédictive), cybersécurité (protection des données critiques), agriculture de précision (réduction des intrants), éducation (car oui il faut investir sur les futures générations, les résultats actuels en maths et en français sont peu acceptables), réindustrialisation sur les industries de demain (batteries, puces, calculateurs, etc.) en profitant d’un mix énergétique résolument bas carbone.
- Exemple concret : Dans la santé, financer une startup française qui utilise l’IA pour détecter les signes précoces de maladies neurodégénératives via des scanners IRM. En ciblant les grandes causes de mortalité (tumeurs malignes, maladies cardiovasculaires, maladies respiratoires)
- Financement mixte : Apporter des fonds publics (60 %) et mobiliser des investisseurs privés (40 %) pour assurer la pérennité du fonds.
Impact attendu : Créer un champion technologique d’ici 2027 par secteur, capables de concurrencer les GAFAM dans ces niches spécifiques, tout en assurant l’indépendance numérique de la France sur des enjeux majeurs.
Proposition 3 : Développer des plateformes ouvertes pour des bases de données culturelles et scientifiques
L’uniformisation linguistique et culturelle menace la diversité de pensée, dans le domaine de la création, et de la recherche. La France devrait créer une plateforme publique francophone, ouverte à tous les pays francophones, « Open Data IA France », regroupant des bases de données culturelles et scientifiques pour entraîner des IA localisés avec notre culture, notre vision du monde, nos schémas de pensée pour résoudre plus spécifiquement nos problèmes tels que nous les formulons.
- Exemples de données : Textes littéraires (via la BNF), archives audiovisuelles (via l’INA), recherches scientifiques en open access. La structuration de grandes bases de données ouvertes et de manière transparente est un enjeu majeur pour alimenter les modèles d’IA.
- API ouvertes : Offrir des interfaces de programmation accessibles aux startups et universités pour utiliser ces données gratuitement ou à moindre coût et favoriser l’émergence de services et outils nouveaux spécifiques à notre culture.
Cela enrichira l’offre de modèles IA avec des modèles que nous « comprendrons intrinsèquement mieux ».
Impact attendu : Permettre à 1000 projets d’ici 2027 de bénéficier de données enrichies, tout en renforçant l’utilisation de la langue française et la diversité culturelle dans le numérique (et dans le monde).
Proposition 4 : Intégrer l’éducation au numérique dès le primaire et à l’IA à partir du secondaire
Au primaire, il serait temps de former au numérique, à ses forces, à ses travers sous forme d’une culture « générale » du numérique. De nombreux sujets pourraient être abordés : comment fonctionne un ordinateur, un téléphone portable, un réseau social, un algorithme de recommandation, un système de sécurisation par mot de passe, les aspects d’addiction dans le numérique. Comment vérifier l’information numérique, la valider, se méfier, etc. Bref acquérir tôt les (bons) réflexes d’un (bon) usage du numérique ! Cet effort pourrait être soutenu en incitant le service public à produire des contenus grands publics sur ces sujets pour la TV, la Radio et surtout les réseaux sociaux (TikTok, Insta en tête). Ce socle de culture générale du numérique est indispensable avant de passer à l’usage de l’IA… PIX n’y répond pas car il repose sur la pratique et la micro-compétence et non sur la vision globale.
L’intelligence artificielle est déjà omniprésente dans nos vies. L’idée c’est d’intégrer un module dédié à l’IA dans les programmes scolaires, dès le collège, pour préparer les générations futures. Là encore, PIX ne répond pas à ce besoin plus spécifique sur l’IA. Pour cela, il conviendra de former aussi le corps professoral au collège et lycée afin d’amplifier les efforts de Canopé.
- Contenu : Enseigner la pensée algorithmique (comment les IA fonctionnent), accompagner des projets pratiques (ex. programmation de robots) et surtout sensibiliser aux enjeux éthiques de l’IA.
- Exemple concret : Au collège, les élèves pourraient apprendre à jouer avec des modèles IA (amplifier l’approche de Vittascience par exemple), interagir avec des chatbots, construire des chatbots, entraîner des modèles d’IA, coder des IA simples. C’est en les mettant en contact dans un cadre sécurisé et sécurisant qu’on peut leur faire acquérir les bons réflexes et les bons questionnements sur le sujet. La communauté académique et scolaire a un rôle majeur à jouer dans le dispositif.
- Formation des enseignants : Former 50 000 professeurs d’ici à 2027 pour assurer la qualité et la diffusion des cours. Ces formations pourraient s’opérer par des plateformes pour acquérir les basiques avant de mettre sur pied des communautés de pratiques au sein des Académies ou des rectorats. Pourquoi ne pas orienter les fameux cours de technologie sur ce type de sujets ?!
Impact attendu : Une jeunesse mieux armée face aux défis numériques, avec une culture technologique plus forte qui permettra une meilleure adaptation aux métiers de demain qui vont se transformer à l’échelle d’une vie humaine sous l’impulsion du numérique et de l’IA.
Proposition 5 : Créer un indice de confiance IA certifié par l’État
Les citoyens et entreprises adoptent les technologies IA avec méfiance, souvent en raison du manque de transparence et par méconnaissance. La proposition est de créer un label « Confiance IA France », garantissant des normes d’éthique et de durabilité qui permettrait d’accélérer drastiquement la conformité avec le règlement IA (AI Act) pour les organisations les plus petites ou sans réelle compétence technico-juridiques. Il éviterait à chacun de devoir faire les analyses par soi même et serait un vrai facteur d’accélération de l’adoption.
- Ce label prendrait en compte quelques critères majeurs comme la transparence des algorithmes, l’évaluation des biais, l’empreinte carbone des modèles, la conformité RGPD / AI Act.
- Exemple concret : Une plateforme de recrutement utilisant l’IA labellisée pourrait elle-même obtenir ce label après avoir prouvé que ses outils s’appuient sur des modèles labellisés et qu’ils n’introduisent pas d’autres biais dans les algorithmes qui font appel à l’IA.
- Avantages : Offrir des incitations fiscales aux entreprises labellisées pour faire l’effort de transparence et faciliter le déploiement du règlement IA sur le terrain, tout en imposant cette certification dans les marchés publics afin d’atteindre rapidement cet effet démultiplicateur.
Impact attendu : Accroître la confiance dans les technologies IA, favorisant leur adoption tout en positionnant la France comme un leader éthique dans l’écosystème technologique mondial.
Ces propositions concrètes répondent à mon sens aux enjeux les plus immédiats de l’IA en France : formation, (début de) souveraineté, rayonnement culturel, éducation et confiance. En les mettant en œuvre, la France pourrait non seulement accélérer l’adoption de l’IA mais aussi affirmer son leadership dans le paysage technologique global. Certaines propositions sont d’ailleurs balbutiantes (Les POC AI Booster de BPI) et n’ont qu’à être « amplifiées » finalement (plutôt qu’arrêtées d’ailleurs).