Rapport Commission intelligence artificielle Gabriel Attal

Analyse critique du rapport de la Commission de l’Intelligence Artificielle « IA, notre ambition pour la France »

Cette commission fut constituée en septembre 2023 par Elisabeth Borne. Mme Anne Bouverot (Présidente du CA de l’ENS) et M. Philippe Aghion (Professeur au Collège de France) l’ont présidée. La commission de l’Intelligence Artificielle a mobilisé 13 experts de l’IA : Gilles Babinet, Joëlle Barral, Alexandra Bensamoun, Nozha Boujemaa, Bernard Charlès, Luc Julia, Yann Le Cun, Arthur Mensch, Cédric O, Isabel Ryl, Franca Salis-Madinier, Martin Tisné, et Gaël Varoquaux. La commission a été appuyée par de nombreux rapporteurs, dont deux généraux : Cyprien Canivenc et Arno Amabile. Saluons le travail de ces femmes et de ces hommes qui ont auditionné 600 experts et parties prenantes de l’IA, analysé la consultation citoyenne IA sur Agora, opéré 23 séances plénières de travail pour formuler 25 recommandations au gouvernement pour un investissement de 27.4 milliards d’euros sur 5 ans, structuré en 6 thèmes clés. Bravo !

Le rapport est clair, bien structuré, très bien documenté et sourcé avec une analyse fine et équilibrée de nombreuses questions clés. Il constitue une base de travail importante pour tout décideur (public ou privé) qui souhaite s’emparer de ce sujet. Une excellente première étape pour informer et former tous les citoyens de notre pays ! J’ai eu l’occasion d’échanger régulièrement avec certains membres et suis particulièrement heureux de voir quelques idées reprises, contextualisées et amplifiées ! Maintenant passons à l’action ensemble…

L’intelligence artificielle : une révolution au coeur de la stratégie française

L’intelligence artificielle (IA) représente une révolution technologique incontournable dans le monde, façonnant de manière significative l’économie, l’emploi, l’environnement, et plus encore (le rapport n’aborde les modifications de comportements individuels, l’impact sociétal sur la virtualisation des relations, etc.). L’émergence de l’IA générative, caractérisée par sa facilité d’utilisation, sa rapidité de génération de contenu, et son réalisme, marque un tournant décisif dans cette évolution. Toutefois, cette révolution ne doit pas susciter un excès de pessimisme ou d’optimisme, car l’IA, malgré son potentiel considérable, ne remplacera pas l’humain et ne sera pas la solution à tous nos défis futurs.

Le cercle vertueux de l'IA entre ressources, développement technologique, confiance, et bénéfices économiques et
sociaux (p.26)

La France et l’Europe possèdent des atouts majeurs pour participer activement à cette révolution, notamment grâce à l’excellence et au dynamisme de leurs talents dans le domaine de l’IA. Cependant, un déclassement technologique et économique menace notre continent, compromettant notre prospérité et notre indépendance. Face à cette réalité, une action est impérative pour que l’IA devienne un facteur de progrès. Alors que propose le rapport de la commission IA ?

Six axes stratégiques au service de l’intelligence artificielle en France

Pour relever ce défi, le rapport analyse au long de ses 130 pages de très nombreuses questions majeurs. Il aboutit à un plan d’action ambitieux et réaliste structuré en six axes stratégiques :

  1. Sensibilisation et formation : Un plan national pour sensibiliser et former la population à l’intelligence artificielle, intégrant des débats publics et une massification de la formation continue. Notamment, le rapport indique : « animation de débats publics en continu sur les impacts économiques et sociétaux de l’IA au plus près des lieux du quotidien, structuration de l’offre de formation d’enseignement supérieur, massification de la formation continue aux outils d’IA, intégration de l’IA comme objet et outil du dialogue social »
  2. Innovation financière : La création d’un fonds « France & IA » doté de 10 milliards d’euros pour soutenir l’émergence de l’écosystème d’IA et la transformation économique.
  3. Puissance de calcul : Positionner la France comme un leader en puissance de calcul, avec un approvisionnement sécurisé et des incitations fiscales pour l’entraînement de modèles d’IA.
  4. Accès aux données : Faciliter l’accès aux données personnelles et culturelles, tout en respectant les droits de propriété intellectuelle et en modernisant le cadre réglementaire.
  5. Exception IA dans la recherche : Libérer les chercheurs des contraintes administratives et doubler les moyens de la recherche publique spécialisée en IA. C’est une démarche cohérente avec l’AI Act européen.
  6. Gouvernance mondiale de l’IA : Promouvoir une gouvernance mondiale pour évaluer et encadrer l’IA, soutenir l’innovation au service du bien commun, et établir un mécanisme de solidarité internationale.

Cette stratégie nécessite une mobilisation collective, immédiate et soutenue, visant à faire de la France un leader mondial de l’IA. Un investissement public de 5 milliards d’euros annuels sur cinq ans est prévu pour réaliser ces ambitions, un effort jugé nécessaire et réalisable. Ignorer cette opportunité coûterait cher à la France, en termes de gains économiques et sociaux, et risquerait de nous reléguer au second plan de l’histoire technologique. Il est assez aisé de répartir les 25 propositions autour des 6 axes. Cela aurait été appréciable que cela soit mieux réalisé (p. 124) car on ne trouve que 5 catégories dans les financements au final pour un total de 27,4 milliards d’euros sur 5 ans (et non 5 milliards sur 5 ans comme annoncé dans la synthèse).

Un budget d’investissement en très nette hausse autour de l’intelligence artificielle

D’après Statista, sur les 10 ans (2013-2022), la France avait investit 6.6 milliards de dollars, là où les USA étaient à 249 ! Comme l’indique le rapport, l’investissement américain rapporté à la taille du pays est de l’ordre de 3 à 4 fois supérieur jusque là. Avec une prévision à 27 milliards sur 5 ans, la France multiplie considérablement son effort et c’est une excellente nouvelle !

Le coût des mesures est indiqué dans le rapport et les plus coûteuses sont les 8 mesures suivantes qui à elles seules font 25.6 Mds d’euros d’investissement :

  • Accélérer l’émergence d’une filière européenne de composants semi-conducteurs adaptés aux systèmes d’IA (7,7 Mds)
  • Renforcer la capacité technique et l’infrastructure du numérique public afin de définir et de passer à l’échelle une réelle transformation des services publics grâce au numérique et à l’IA, pour les agents et au service des usagers (5,5 Mds), en cohérence avec le rapport IA de la Commission des Loi de l’Assemblée Nationale.
  • Investir massivement dans les entreprises du numérique et la transformation des entreprises pour soutenir l’écosystème français de l’IA et en faire l’un des premiers mondiaux (3,6 Mds)
  • Faciliter la circulation des données et le partage de pratiques pour tirer les bénéfices de l’IA dans les soins, améliorer l’offre et le quotidien des soignants (3 Mds)
  • Inciter, faciliter et amplifier le recours aux outils d’IA dans l’économie française en favorisant l’usage de solutions européennes (2,6 Mds)
  • Généraliser le déploiement de l’IA dans toutes les formations d’enseignement supérieur et acculturer les élèves dans l’enseignement secondaire pour rendre accessibles et attractives les formations spécialisées (1,2 Mds)
  • Encourager l’utilisation individuelle, l’expérimentation à grande échelle et l’évaluation des outils d’IA pour renforcer le service public de l’éducation et améliorer le quotidien des équipes pédagogiques (1 Md)
  • Faire de la France et de l’Europe un pôle majeur de la puissance de calcul installée (1 Md)

Ces 8 mesures sont les bonnes et vont clairement dans le bon sens ! Pour moi cela contribue à :

  • Améliorer la situation de maîtrise de la filière technique (semi conducteur, émergence d’un écosystème française de l’IA et puissance de calcul installée) pour un total de 12,3 Mds
  • Développer l’accès à ces outils (amplifier le recours à l’IA dans l’économie, encourager l’usage dans le service public par l’infrastructure et par les individus, et dans le domaine de la santé) pour 12,1 Mds
  • Former les individus pour 1,2 Mds

Quelques critiques sur le rapport IA

A la lecture du rapport, j’ai cinq critiques (constructives) qui me sont venues. Je vous les livre ici :

La première concerne l’orchestration des 25 mesures qui ont été réparties logiquement par Ministère. Il faut un chef d’orchestre rattaché au Premier Ministre pour piloter l’ensemble, une sorte de cellule PMO transversale pour coordonner l’ensemble du dispositif qui doit être étalé dans le temps et structuré selon un chemin critique clair.

La seconde critique fait référence à la faisabilité des recommandations : le rapport appelle à d’importants investissements pour garantir la souveraineté technologique de la France et de l’Europe. Cependant, les détails sur la faisabilité financière, les sources de financement, et les mécanismes de mise en œuvre spécifiques sont moins développés. Un examen plus critique de la faisabilité financière et opérationnelle de ces recommandations serait bénéfique.

La troisième concerne la gouvernance mondiale qui est proposée : l’idée est excellente, mais la proposition d’une gouvernance mondiale de l’IA pourrait être vue comme idéaliste. Les défis liés à la coordination internationale, aux différences réglementaires, et aux intérêts nationaux divergents pourraient être sous-estimés. Une analyse plus critique des obstacles à une telle gouvernance renforcerait le réalisme des propositions.

La quatrième se rapporte au sujet formation et inclusion : le rapport met (à juste titre) l’accent sur la formation et l’éducation comme piliers pour l’adoption de l’IA. Toutefois, cela soulève la question sur la manière de le faire : il faut déjà former de nombreux formateurs afin d’en assurer le déploiement massif. Par ailleurs, il me semble que la question d’accessibilité et d’inclusion n’est pas suffisamment traitée, en particulier pour les populations défavorisées ou les régions moins développées. Un focus plus marqué sur la réduction de la fracture numérique et sur l’inclusion sociale serait pertinent. Notamment, des formats plus grand public avec pourquoi pas une émission TV régulière autour du numérique, de la transformation de la société, de l’IA, de l’IA générative, de la blockchain, etc. Une sorte de « C’est pas sorcier » du numérique.

La cinquième et dernière critique concerne l’impact sur l’emploi : le rapport anticipe un impact positif. La démonstration s’appuie sur une critique très pertinente des études de type Frey et al. sur l’impact négatif de l’IA (qui amène à une perte d’emplois). Il est clair que c’est une technologie pouvant transformer le marché de l’emploi. Cependant, il manque une analyse plus claire des stratégies concrètes pour la reconversion professionnelle et la protection sociale des travailleurs affectés.

Effet attendu de l'intelligence artificielle sur les métiers en France (2024)

La liste des 25 mesures envisagées pour l’IA en France

De manière extensive, voici la liste des 25 mesures envisagées. Le rapport ne présente aucun macro planning alors que les pilotes sont bien présentés, aucun macro planning n’est proposé dans le rapport. Cela devrait venir prochainement.

  RecommandationsImpact financier en 5 ans (M€)
    1Créer les conditions d’une appropriation collective de l’IA et de ses enjeux afin de définir collectivement les conditions dans lesquelles elle s’insère dans notre société et nos vies quotidiennes Pilotes : ministère de la cohésion des territoires  10
  2Investir dans l’observation, les études et la recherche sur les impacts des systèmes d’IA sur la quantité et la qualité de l’emploi Pilotes : ministère du travail et ministère de la fonction publique  5
 
  3Faire du dialogue social et professionnel un outil de co-construction des usages et de régulation des risques des systèmes d’IA Pilotes : ministère du travail  0
      4Porter une stratégie de soutien à l’écosystème d’IA ouverte au niveau international en soutenant l’utilisation et le développement de systèmes d’IA ouverts et les capacités d’inspection et d’évaluation par des tiers Pilotes : ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche ; ministère de l’économie    0
    5Faire de la France un pionnier de l’IA pour la planète en renforçant la transparence environnementale, la recherche dans des modèles à faible impact, et l’utilisation de l’IA au service des transitions énergétique et environnementales Pilotes : ministère de l’Europe ; ministère de la recherche    100
      6Généraliser le déploiement de l’IA dans toutes les formations d’enseignement supérieur et acculturer les élèves dans l’enseignement secondaire pour rendre accessibles et attractives les formations spécialisées Pilotes : ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, ministère de l’éducation nationale    1 200
  7Investir dans la formation professionnelle continue des travailleurs et dans les dispositifs de formation autour de l’IA Pilotes : ministère du travail et ministère de la fonction publique  200
    8Former les professions créatives à l’IA, dès les premières années de l’enseignement supérieur et en continu Pilotes : ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche ; ministère de la culture  20
    9Renforcer la capacité technique et l’infrastructure du numérique public afin de définir et de passer à l’échelle une réelle transformation des services publics grâce au numérique et à l’IA, pour les agents et au service des usagers Pilote : ministère de la transformation et de la fonction publique    5 500
    10Faciliter la circulation des données et le partage de pratiques pour tirer les bénéfices de l’IA dans les soins, améliorer l’offre et le quotidien des soignants Pilote : ministère de la santé  3 000
    11Encourager l’utilisation individuelle, l’expérimentation à grande échelle et l’évaluation des outils d’IA pour renforcer le service public de l’éducation et améliorer le quotidien des équipes pédagogiques Pilote : ministère de l’éducation    1 000
   RecommandationsImpact financier en 5 ans (M€)
    12Investir massivement dans les entreprises du numérique et la transformation des entreprises pour soutenir l’écosystème français de l’IA et en faire l’un des premiers mondiaux Pilotes : services du Premier ministre ; ministère de l’économie et des finances  3 600
    13Accélérer l’émergence d’une filière européenne de composants semi-conducteurs adaptés aux systèmes d’IA Pilotes : services du Premier ministre ; ministère de l’économie ; ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche  7 700
  14Faire de la France et de l’Europe un pôle majeur de la puissance de calcul installée Pilotes : services du Premier ministre ; ministère de l’économie et des finances  1 000
  15Transformer notre approche de la donnée personnelle pour mieux innover Pilote : services du Premier ministre ; ministère de la justice  16
    16Mettre en place une infrastructure technique favorisant la mise en relation entre les développeurs d’IA et les détenteurs de données culturelles patrimoniales Pilote : ministère de la culture et ses opérateurs  35
    17Mettre en œuvre et évaluer les obligations de transparence prévues par le règlement européen sur l’IA en encourageant le développement de standards et d’une infrastructure adaptée Pilote : ministère de la culture  0
    18Attirer et retenir des talents de stature internationale avec des compétences scientifiques ou entrepreneuriales et managériales dans le domaine de l’IA Pilote : ministère de l’économie ; ministère des affaires étrangères  10
    19Assumer le principe d’une « Exception IA » sous la forme d’une expérimentation dans la recherche publique pour en renforcer l’attractivité Pilote : ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche  1 025
    20Inciter, faciliter et amplifier le recours aux outils d’IA dans l’économie française en favorisant l’usage de solutions européennes Pilote : services du Premier ministre ; ministère de l’économie  2 600
    21Faciliter l’appropriation et l’accélération des usages de l’IA dans la culture et les médias pour limiter la polarisation entre grands groupes et petits acteurs et lutter contre la désinformation Pilote : ministère de la culture  60
    22Structurer une initiative diplomatique cohérente et concrète visant la fondation d’une gouvernance mondiale de l’IA Pilote : ministère des affaires étrangères ; ministère de la culture ; ministère de l’économie  300
  RecommandationsImpact financier en 5 ans (M€)
    23Structurer dès maintenant un puissant écosystème national de gouvernance de l’IA Pilotes : services du Premier ministre, ministère de l’économie, ministère de la recherche  5
    24Doter la France et l’Europe d’un écosystème d’évaluation public et privé des systèmes d’IA au plus proche des usages et des derniers développements technologiques Pilotes : ministère de l’économie et des finances  15
  25Anticiper les concentrations de marché sur l’ensemble de la chaîne de valeur de l’intelligence artificielle Pilote : ministère de l’économie  0
Ensemble du plan27 Md€

Le rapport complet sur l’intelligence artificielle : notre ambition pour la France est sur le site du Gouvernement.

Alain Goudey

Imaginer l'Ecole du futur à NEOMA, créer l'identité sonore des marques avec Atoomedia & Mediavea, conseiller sur la transformation numérique avec Sociacom | Expert en éducation, technologies disruptives, IA & design sonore.

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4 réflexions sur « Analyse critique du rapport de la Commission de l’Intelligence Artificielle « IA, notre ambition pour la France » »

  1. Merci pour ton compte-rendu et tes remarques pertinentes. Je vois deux choses qui m’interpellent
    1/ une démarche franco-francaise et non européenne et appelant à une mobilisation mondiale (la France éclairant le monde … ?)
    2/ la partie qui m’intéresse le plus avec l’impact sur les métiers et un graphique pour le moins très bizarre. Je vais regarder ça ce week-end plus en détail.

  2. Merci pour cette synthèse, vous avez raison de souligner le besoin d’un chef d’orchestre à Matignon. Le fait même de désigner plusieurs ministères « pilotes » par mesure est quasi une garantie d’échec. Ils devraient être chargés de la mise en oeuvre, mais pas « pilotes »… Les services du Premier Ministre et notamment la DITP pourraient jouer se rôle, à condition d’avoir un interlocuteur dédié à Matignon, suffisamment costaud pour réussir à mobiliser ses homologues des autres cabinets ministériels afin que tout le monde aille dans le même sens. Rien n’est plus difficile, chronophage et ingrat que la coordination interministérielle.

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