Cette semaine, j’ai relevé six annonces majeures autour des tensions, des paris financiers et des ambitions géopolitiques autour de l’intelligence artificielle. Au-delà des chiffres mirobolants et des communiqués enthousiastes, que faut-il retenir ?
1. OpenAI et Oracle : un pacte à 300 milliards de dollars
OpenAI a conclu un partenariat historique avec Oracle, évalué à 300 milliards de dollars, pour soutenir ses besoins massifs en calcul. L’accord vise à sécuriser la puissance GPU nécessaire à l’entraînement et à l’inférence de ses modèles les plus avancés. Microsoft, déjà partenaire privilégié, garde un droit de premier refus sans assumer les risques d’amortissement matériel. Résultat : OpenAI consolide la plus grande capacité de calcul dédiée à l’IA au monde, avec une hausse colossale de sa valorisation (avant une régulation).
Cette opération révèle une vérité dérangeante : la croissance des infrastructures dépasse celle des revenus liés à l’IA. Les promesses de valeur peinent encore à se concrétiser. Derrière l’effet d’annonce, il s’agit moins d’innovation que de gestion du risque financier. Le secteur devra tôt ou tard justifier ces investissements colossaux par des usages réellement transformateurs… mais pour le moment, le fait est qu’il y a plutôt pénurie des infrastructures disponibles.
2. Microsoft et OpenAI : la paix armée
Après des mois de tensions, les deux alliés-rivaux ont signé un Mémorandum of Understanding (MOU) non contraignant. Ce texte ouvre la voie à une mutation d’OpenAI en Public Benefit Corporation (PBC), permettant l’entrée de nouveaux investisseurs et une éventuelle introduction en bourse. Le bras de fer juridique avec Elon Musk et plusieurs ONG continue, mais l’accord pose un cadre minimal pour avancer.
Cet épisode illustre le paradoxe d’OpenAI : née comme organisation non lucrative au service de l’humanité, elle pivote vers une logique de valorisation boursière. La promesse éthique reste, mais la mécanique financière s’impose. Pour Microsoft, il s’agit d’éviter l’explosion du partenariat, sans céder le contrôle. En clair : une trêve fragile, plus tactique que stratégique.
3. Albanie : un ministre virtuel contre la corruption
L’Albanie a nommé son assistant numérique Diella « ministre » chargé de surveiller les marchés publics. Conçu à l’origine pour gérer des formalités administratives, l’agent IA se voit confier la mission la plus sensible : contrôler un secteur gangrené par les pratiques opaques. Rapidité et impartialité promises… mais responsabilité diluée. Si l’algorithme se trompe, qui assume ?
C’est une expérimentation radicale : substituer l’autorité politique par un code informatique. L’innovation est audacieuse mais dangereuse : l’efficacité technique ne garantit pas la légitimité démocratique, ni l’absence de biais ou d’erreurs. Un ministre virtuel ne peut rendre de comptes, or c’est précisément ce qui fonde la responsabilité politique. La lutte contre la corruption ne peut se réduire à mon sens à un problème d’automatisation.
4. Commerce en ligne : l’IA, nouveau réflexe des consommateurs
Selon le rapport 2025 de Wildfire Systems, 61 % des consommateurs utilisent désormais des outils d’IA pour leurs achats, soit trois fois plus qu’en 2024. Leur motivation ? Trouver les meilleures affaires dans un contexte d’inflation persistante. Comparaison de prix, repérage de promotions, cashback : l’IA devient le compagnon des chasseurs de bons plans. Mais inquiétudes à la clé : confidentialité, surconsommation et abonnements indésirés. Et évidemment, question du côté des distributeurs puisqu’on se dirige ici vers une réintermédiation de la vente en ligne.
L’adoption massive ne repose pas sur la fascination technologique, mais sur l’urgence économique. L’IA devient un outil d’optimisation budgétaire. Les plateformes devront convaincre par la confiance et la transparence, faute de quoi l’usage pourrait s’effriter. Ici, la valeur ne vient pas du « wow effect », mais du « pay back »… tout en insérant un modèle publicitaire ?
5. Perplexity : 200 millions levés, 20 milliards de valorisation
La start-up de recherche conversationnelle Perplexity a levé 200 millions de dollars supplémentaires, portant sa valorisation à 20 milliards. En trois ans, l’entreprise a déjà récolté 1,5 milliard et approche les 200 millions de revenus annuels récurrents. Son audace (jusqu’à proposer le rachat de Chrome à Google) fascine les investisseurs, même si la domination de Google reste (largement) préservée.
Perplexity incarne l’outsider qui bouscule l’ordre établi. Sa croissance est impressionnante, mais l’histoire du numérique regorge de challengers éphémères. Son succès dépendra moins de ses levées spectaculaires que de sa capacité à convertir son avantage technologique en parts de marché. Dans un univers saturé par les géants, l’agilité seule ne suffira pas.
6. ASML et Mistral : un axe franco-néerlandais pour l’IA européenne
J’en parlais le week-end dernier dans mes actualités IA sur X et sur Linkedin, ASML investit 1,5 milliard de dollars dans Mistral, devenant son premier actionnaire. Avec près de 2 milliards levés au total et l’appui d’acteurs comme Nvidia, la start-up française renforce sa position dans la course mondiale. Au-delà du financement, l’accès privilégié au savoir-faire d’ASML en semi-conducteurs ouvre la voie à une intégration verticale inédite en Europe.
Ce deal marque une étape stratégique : l’Europe tente enfin de lier ses champions du hardware et du software pour peser dans la compétition mondiale. Si Mistral parvient à transformer ce soutien en innovations concrètes, l’UE pourrait réduire sa dépendance vis-à-vis des États-Unis et de la Chine. Mais la bataille ne se gagne pas à coups de milliards : elle exige une vision industrielle durable et une action en écosystème.