Devant les évolutions géopolitiques récentes, il m’est apparu intéressant de se poser la question de la dépendance des entreprises françaises (et européennes) aux technologies américaines et chinoises. J’ai donc solliciter Open AI DeepResearch pour concevoir ce mémo qui rassemble les grands points clés.
Je ne crois pas à un scénario long de coupure, mais celui d’une coupure immédiate et assez courte pourrait déjà avoir de lourds dégâts sur l’économie et la société française. Voici donc quelques chiffres de notre dépendance numérique et l’exploration du scénario de la coupure avec des pistes pour limiter les dégâts et se prémunir autant que possible.
Travailler dans la prospective, c’est aussi envisager ce type de scénario. Attention la lecture de l’article peut faire froid dans le dos…
Usage des clouds, systèmes d’exploitation et logiciels étrangers en France : 78% des grandes entreprises à risque dans le cloud
Les entreprises françaises reposent très majoritairement sur des technologies numériques d’origine étrangère (États-Unis en tête, puis Chine notamment pour le matériel). Sur le cloud computing, l’adoption en France a longtemps été en retard : en 2020 seuls 27 % des entreprises françaises utilisaient des services cloud, contre 36 % en moyenne dans l’UE (Salons Cloud et Datacenter : Quand les usages dictent la transformation digitale des entreprises – GPO Magazine). En 2023, environ 26–27 % des entreprises françaises utilisaient le cloud (données Eurostat) (Salons Cloud et Datacenter : Quand les usages dictent la transformation digitale des entreprises – GPO Magazine) (Cloud adoption among EU enterprises in 2023) – un chiffre stable, la France accusant un retard par rapport à la moyenne européenne (45 % en 2023). Ce taux monte toutefois avec la taille d’entreprise : au niveau européen, 77,6 % des grandes entreprises utilisaient le cloud en 2023, contre 59 % des moyennes et ~42 % des petites (Le cloud en Europe : même les petites entreprises s’y mettent ! – IT SOCIAL) (Le cloud en Europe : même les petites entreprises s’y mettent ! – IT SOCIAL). La plupart des entreprises adoptent le cloud pour des services de base : par exemple, 82,7 % des entreprises utilisatrices de cloud l’emploient pour la messagerie et 68 % pour le stockage de fichiers (Le cloud en Europe : même les petites entreprises s’y mettent ! – IT SOCIAL). En France, parmi les sociétés passées au cloud, on observe une utilisation supérieure à la moyenne UE pour le stockage de documents (76 % des cas) et les bases de données (63 %) (Salons Cloud et Datacenter : Quand les usages dictent la transformation digitale des entreprises – GPO Magazine). Cela illustre la dépendance aux géants du cloud, d’autant que le marché français est dominé à plus de 70 % par trois opérateurs américains (AWS, Microsoft Azure et Google Cloud) (Les entreprises françaises en mauvaise posture face aux technologies IT américaines – La Revue du Digital). En 2022, le cloud public en France représentait ~2,5 milliards € (contre 1,4 Md€ en 2020) et AWS détenait 45 % de part de marché, Azure 18 % et Google Cloud 8 % (Cloud en France : les 3 hyperscalers poursuivent leur croissance – Cloud – Silicon.fr). Autrement dit, une poignée d’acteurs américains concentre l’essentiel des infrastructures critiques – une situation qualifiée de « talon d’Achille » pour la souveraineté numérique française (Les entreprises françaises en mauvaise posture face aux technologies IT américaines – La Revue du Digital).
Concernant les systèmes d’exploitation (OS), le constat est tout aussi parlant. Microsoft Windows équipe la majorité des postes de travail : en 2024, Windows détenait ~73 % des parts de marché des PC en France (Market share of desktop operating systems in France 2010-2024). Le reste se répartit entre principalement macOS d’Apple (environ 24 %) et Linux ou autres OS minoritaires. Sur mobile, le duopole américain Apple/Google sur le logiciel domine : environ 76–80 % des smartphones en France tournent sous Android (Google), et 20–24 % sous iOS (Apple) (Marché des smartphones en France : Android n°1, iOS n°2 – (Kantar) – EcoConscient). Android étant opéré par Google (américain) et largement déployé sur des appareils de fabricants asiatiques (Samsung, Xiaomi, etc.), et iOS exclusivement par Apple, cela signifie que la totalité des terminaux mobiles professionnels dépendent d’OS étrangers. Il n’existe pas de système d’exploitation grand public développé en Europe à grande échelle – quelques administrations ou entreprises ont pu adopter Linux (open source) en marge, mais Windows reste omniprésent dans l’environnement professionnel français.
Du côté des logiciels et suites bureautiques, là encore la dépendance est forte envers des solutions américaines en mode cloud (SaaS). Par exemple, Microsoft 365 (Office) et Google Workspace sont massivement utilisés pour la messagerie, le travail collaboratif et la productivité. Dès 2016, un baromètre montrait que 50 % des organisations françaises (publiques et privées) avaient adopté Office 365, et 32 % utilisaient la suite Google (G Suite) (50% des organisations françaises ont adopté Office 365… et 32% G Suite) (50% des organisations françaises ont adopté Office 365… et 32% G Suite) – l’un des taux d’adoption les plus élevés d’Europe. Parmi les grandes entreprises, l’adoption est encore plus marquée : 80 % des entreprises du CAC40 étaient déjà passées sur Office 365 en 2017 (Office 365 déployé par 37% des moyennes et grandes entreprises françaises). Microsoft Office, historiquement utilisé en local, a donc migré vers le cloud Microsoft, tandis que Google a poussé Gmail/Docs en alternative. D’autres logiciels métiers critiques utilisés en France proviennent souvent d’éditeurs étrangers : par exemple les solutions de CRM ou d’ERP américaines (Salesforce, Oracle, etc.) ou les outils de communication comme Teams (Microsoft) et Zoom. En somme, une large part des données d’entreprise en France transite ou est stockée sur des infrastructures étrangères. Comme le résume un expert, « que ferait la France sans l’électronique chinoise ou les logiciels américains ? » – aujourd’hui, notre économie numérique dépend fortement des matériels asiatiques et des logiciels/cloud US (Où est la souveraineté numérique de la France ? | Conflits : Revue de Géopolitique).
Scénario fiction : l’impact immédiat d’une coupure soudaine d’une semaine se chiffre en milliards d’euros !
Une interruption brutale, pendant une semaine, des services cloud et numériques fournis par les géants américains (et éventuellement chinois) aurait un impact paralysant immédiat sur l’économie et l’activité des entreprises françaises. D’après une étude de Lloyd’s, la défaillance d’un grand fournisseur de cloud pendant 3 à 6 jours entraînerait environ 15 milliards de dollars de pertes économiques aux États-Unis (Quels effets d’une panne de cloud sur l’activité économique ?) (Quels effets d’une panne de cloud sur l’activité économique ?) – un scénario transposable aux pays dépendants du cloud. En France, où le PIB est moindre, l’ordre de grandeur serait de plusieurs milliards d’euros de pertes pour une semaine d’arrêt, avec des effets en cascade. Près de 1 entreprise sur 2 utilise une suite de productivité en ligne (Office 365 de Microsoft surpasse Google Apps dans les entreprises – Open source – Silicon.fr) : ainsi, si Office 365 et Google Workspace devenaient inaccessibles, des millions de salariés perdraient l’accès à leur messagerie professionnelle, documents partagés, agendas et outils collaboratifs. L’arrêt d’Exchange/Outlook et de Gmail empêcherait la communication par e-mail dans de très nombreuses organisations, perturbant les échanges avec les clients, fournisseurs et entre collègues. De même, la suspension des services de stockage cloud (OneDrive, Google Drive, etc.) rendrait indisponibles d’innombrables fichiers et données métiers, à moins d’en avoir des copies locales à jour.
Sur le plan des infrastructures et applications, un grand nombre de sites web, d’applications SaaS et de bases de données cesseraient de fonctionner. Beaucoup d’entreprises hébergent leurs applications web, e-commerce ou services clients sur AWS, Azure ou Google Cloud – or les trois hyperscalers cloud concentrent 70 % du marché français (Les entreprises françaises en mauvaise posture face aux technologies IT américaines – La Revue du Digital), d’où un risque systémique. En cas de coupure simultanée de ces plateformes, des pans entiers d’Internet « tombent » : sites indisponibles, transactions en ligne impossibles, etc. Par exemple, une simple panne Azure de quelques heures en janvier 2023 a impacté des services utilisés par des millions d’utilisateurs dans le monde (Teams, Outlook…) (La panne de Microsoft Cloud frappe les utilisateurs du monde entier). Azure compte 15 millions d’entreprises clientes et 500 millions d’utilisateurs actifs dans le monde (La panne de Microsoft Cloud frappe les utilisateurs du monde entier) – on imagine qu’une semaine hors ligne provoquerait une désorganisation généralisée. En France, les secteurs très numérisés (banques, e-commerce, communications, etc.) verraient leur activité quasiment à l’arrêt sans accès aux clouds publics.
Les conséquences financières directes incluraient la perte de chiffre d’affaires pendant la période (ventes non réalisées, projets retardés…), l’arrêt de la production dans certaines industries (si leurs systèmes de pilotage/commande sont hébergés en cloud), et des coûts de récupération après coup. Les secteurs manufacturier et distribution seraient parmi les plus touchés – aux États-Unis, on estimait qu’une panne cloud de 3-6 jours causerait 8,6 Mds$ de pertes directes à l’industrie et 3,6 Mds$ au commerce de détail (Quels effets d’une panne de cloud sur l’activité économique ?). En France, de nombreux services publics et collectivités seraient également affectés (beaucoup utilisent Office 365, des hébergements web, etc., parfois via des contrats avec Microsoft/Azure). Par exemple, un incident local comme l’incendie du datacenter d’OVH à Strasbourg en 2021 (un cloud pourtant français) a suffi à mettre hors ligne 464 000 sites web – dont des sites gouvernementaux (data.gouv.fr), d’aéroports, d’universités… (Incendie OVH : retour sur le sinistre et ses conséquences). Cela montre la vulnérabilité face à une interruption brutale : une semaine sans les services numériques habituels entraînerait arrêts de service, perte d’accès aux données, et impossibilité d’assurer les opérations courantes pour une énorme partie des entreprises.
Par ailleurs, même les outils locaux seraient perturbés. Si les systèmes d’exploitation (Windows, Android, iOS…) continuaient de fonctionner en mode déconnecté, certaines fonctionnalités critiques pourraient tomber en panne faute de connexion aux serveurs des éditeurs : par exemple l’authentification des utilisateurs Office 365 liée à Azure AD, les APIs de Google Maps ou de paiement intégrées dans des applications, etc. Des postes Windows en environnement d’entreprise pourraient rencontrer des difficultés de login si l’Active Directory est dans Azure. Les terminaux mobiles Android/iPhone perdraient l’accès aux notifications push, aux sauvegardes cloud, aux app stores – compliquant le télétravail de secours via smartphone. En somme, au bout de quelques heures, la plupart des processus “numériques” devraient basculer en mode dégradé ou manuel, avec retour au papier, aux appels téléphoniques, etc., ce qui réduit fortement l’efficacité et la réactivité.
Humainement, la situation serait chaotique : des millions d’employés inactifs ou ralenties faute d’outils, des clients mécontents, et une incertitude totale quant à la fiabilité des données (risque de pertes). Cette dépendance critique aux fournisseurs étrangers de tech fait craindre un “brouillard numérique” complet en cas de coupure – un risque qui, bien qu’extrême, met en lumière le manque de solutions de secours locales en l’état actuel.
Scénario de gestion de crise : limiter les pertes et rétablir l’activité au plus tôt
Face à un tel scénario de crise (une semaine sans cloud ni services SaaS habituels), les entreprises françaises devraient activer en urgence leurs plans de continuité d’activité. Un plan de crise consisterait d’abord à assurer la survie des fonctions vitales de l’entreprise en mode dégradé pendant la panne, puis à restaurer progressivement les capacités numériques.
1. Activation du mode dégradé et solutions de contournement immédiates
Dès la coupure constatée, l’entreprise communiquerait en interne pour informer les employés de la situation et des procédures d’urgence. Il s’agit d’abord de trouver des alternatives de communication : si la messagerie électronique est hors service, basculer sur des solutions secondaires. Par exemple, utiliser des adresses e-mail grand public temporaires (@gmail/@hotmail – si ces services sont eux aussi coupés dans ce scénario global, il faudrait recourir aux SMS, appels téléphoniques classiques, voire créer un serveur de mail local interne si possible). Les équipes IT pourraient mettre en place en urgence un serveur de messagerie alternatif local accessible via le réseau interne ou VPN, afin que les employés puissent au moins échanger sur un réseau d’entreprise isolé. De même, pour la communication avec l’extérieur (clients/fournisseurs), diffuser des points de contact de secours (numéros de téléphone hotline, adresse temporaire sur un service épargné, etc.).
En parallèle, il faut assurer l’accès aux données critiques. Idéalement, une entreprise bien préparée aura mis en place des sauvegardes régulières offline ou sur un cloud différent. En crise, les administrateurs restaureront les dernières sauvegardes de données sur des serveurs locaux de l’entreprise. Par exemple, si l’ERP cloud est indisponible, on peut tenter de déployer une instance de secours on-premise (sur les propres serveurs de l’entreprise) en important la dernière sauvegarde de la base de données. Cela nécessite d’avoir prévu en amont une architecture de secours hors ligne. De nombreuses entreprises ont encore des serveurs internes : d’ailleurs 39 % des PME françaises déclaraient installer principalement leurs solutions sur leurs propres serveurs (vs 39 % sur le cloud) (Baromètre France Num 2024 : perception et usages du numérique par les TPE et PME – francenum.gouv.fr). Ces infrastructures locales pourraient servir de base de repli. En pratique, les DSI activeraient des plans de reprise d’activité consistant par exemple à : monter un serveur de fichiers interne contenant les documents de référence (extraits de la dernière synchro OneDrive/Google Drive connue), basculer les standard téléphoniques sur des lignes RTC si la VoIP cloud ne fonctionne plus, etc.
2. Priorisation des activités essentielles
Durant cette semaine de crise, il est illusoire de maintenir un fonctionnement normal. Il faut donc identifier les processus critiques à faire tourner coûte que coûte (par ex. traitement des commandes en cours, expéditions, paie des employés si c’est l’époque, etc.) et mettre d’autres projets en pause. Les directions métier, avec la cellule de crise IT, établissent une liste de ce qui doit être fait manuellement ou via des outils de secours. Par exemple, si le site e-commerce est down, envisager de prendre des commandes par téléphone ou e-mail de secours, afin de ne pas perdre tous les revenus. Si les systèmes de production automatisés sont touchés, passer temporairement en mode manuel (avec moins de rendement certes). La communication de crise externe est également cruciale : informer honnêtement les clients et partenaires du problème général (sans trop entrer dans la technique pour ne pas inquiéter davantage), annoncer que des mesures temporaires sont en place et qu’un retour à la normale est prévu. Maintenir la confiance est important pour limiter les pertes commerciales.
3. Collaboration et entraide sectorielle
Étant donné que la panne toucherait de très nombreuses entreprises simultanément, on pourrait imaginer une entraide au niveau sectoriel ou régional. Par exemple, les organisations professionnelles ou l’État pourraient mettre en place des cellules de soutien. Des fournisseurs locaux (hébergeurs français, sociétés de services) pourraient proposer des ressources d’hébergement en urgence. Si une entreprise A est totalement bloquée, elle pourrait nouer un accord avec une entreprise B disposant de ressources propres pour l’héberger temporairement ou partager des infrastructures. Cette solidarité nécessite une coordination (éventuellement via les pouvoirs publics). Dans un scénario de coupure générale, le gouvernement français activerait probablement le volet « continuité économique » de son plan de gestion de crise, en mobilisant notamment l’ANSSI pour aider à rétablir certains services critiques (ex. hôpitaux, infrastructures vitales) et en communiquant via la Direction générale des entreprises (DGE) auprès des sociétés.
4. Rétablissement et leçons
Une fois la semaine écoulée et les services rétablis par les fournisseurs (ici les géants du cloud), l’entreprise devra s’assurer de la remise en route ordonnée de ses systèmes d’information. Il faudra resynchroniser les données saisies en mode dégradé pendant la panne vers les systèmes cloud une fois de retour, et vérifier l’intégrité des bases (identifier les éventuelles pertes ou incohérences pour les corriger). Par exemple, réimporter les commandes reçues « manuellement » pendant la panne dans l’ERP cloud pour que tout soit à jour. Cette crise servirait de stress-test grandeur nature : un débriefing s’impose pour identifier ce qui a manqué. Si certaines données critiques n’étaient pas sauvegardées hors du cloud, ou si aucun moyen de communication alternatif n’avait été prévu, il faudra combler ces failles. Concrètement, cela peut signifier élaborer un plan de continuité (PCA) plus robuste, incluant des sauvegardes multiples, un environnement IT secondaire prêt à l’emploi, et des procédures claires pour basculer rapidement en mode secours.
En résumé, la gestion de crise consiste à « gagner du temps » et limiter la casse en mode dégradé jusqu’à rétablissement des services. Les mots d’ordre sont anticipation, réactivité et communication. Les entreprises ayant anticipé un tel scénario (via des sauvegardes offline, une stratégie multi-cloud ou des duplications on-premise) s’en sortiront nettement mieux, réduisant les pertes à un minimum. Celles totalement dépendantes d’un seul fournisseur cloud sans filet de sécurité risquent au contraire de subir de plein fouet l’arrêt d’activité pendant une semaine – d’où la nécessité de tirer les enseignements pour l’avenir.
Comment piloter ce risque à moyen terme ? Quelques pistes d’alternatives pour plus de souveraineté
À moyen et long terme, la dépendance quasi-exclusive aux technologies américaines (et, dans une moindre mesure, chinoises) constitue un risque stratégique pour les entreprises françaises et la nation (accès aux données, continuité économique, protection des informations sensibles). Plusieurs enjeux se dessinent.
Risque géopolitique et juridique
Confier ses données et outils à des entités soumises à des puissances étrangères expose au cadre légal de ces pays. Comme le rappelle le Cigref, « à partir du moment où l’on confie ses données à une entreprise américaine ou chinoise, on accepte de facto de soumettre ses données à l’administration [de ces pays] » (Les entreprises françaises en mauvaise posture face aux technologies IT américaines – La Revue du Digital). Cela fait allusion par exemple au Cloud Act américain (permettant aux autorités US d’accéder aux données hébergées par des firmes US, même à l’étranger) ou aux lois chinoises de sécurité nationale. Pour les entreprises françaises, cela pose des problèmes de confidentialité et de contrôle sur leurs données stratégiques. En cas de tensions diplomatiques ou de sanctions, un fournisseur étranger pourrait se voir imposer des restrictions (on pense aux cas extrêmes, par ex. l’embargo américain sur Huawei a coupé ce dernier des services Google). Dépendre d’un seul pays pour des technologies clés représente un risque de chantage ou de coupure en cas de conflit politique.
Risque économique et d’innovation
La domination des GAFAM et BATX (géants US et chinois) crée une situation d’oligopole. Ces acteurs peuvent imposer leurs conditions tarifaires (augmentations de prix de licences, etc.) ou limiter l’interopérabilité, ce qui enferme les entreprises dans un lock-in technologique. Par exemple, si Microsoft décide de modifier les modalités d’Office ou d’Azure, les clients n’ont guère le choix. De plus, cette dépendance affaiblit l’écosystème local : les dépenses vers les fournisseurs étrangers représentent une “ponction” économique (des milliards qui sortent du marché européen pour aller aux États-Unis) (Les entreprises françaises en mauvaise posture face aux technologies IT américaines – La Revue du Digital), et autant de ressources en moins pour développer des solutions locales. À terme, cela peut freiner l’innovation européenne, créant un cercle vicieux de dépendance.
Face à ces risques, plusieurs alternatives et stratégies de mitigation se profilent pour les entreprises et les pouvoirs publics français/européens.
Développement de solutions européennes (« souveraineté numérique »)
C’est la fameuse histoire de la souveraineté numérique européenne. L’Union européenne et la France encouragent la création d’alternatives locales dans le cloud et les logiciels. Par exemple, le projet Gaia-X (lancé en 2020) vise à bâtir un écosystème de cloud européen fédéré et interopérable (Gaia-X – Wikipédia), afin de proposer des services respectant les normes de transparence et de contrôle des données européens. Bien que Gaia-X ne soit pas un cloud en soi, il fédère des acteurs (OVHcloud, Orange, Deutsche Telekom, etc.) pour harmoniser les offres cloud européennes et faciliter le portage des données entre elles. Parallèlement, des initiatives nationales émergent : la France a défini le label « Cloud de confiance », avec une certification SecNumCloud (ANSSI) garantissant que le fournisseur est soumis au droit français/UE et offre de hautes garanties de sécurité. Des partenariats public-privé ont donné naissance à des offres comme Bleu (joint-venture Orange/Capgemini utilisant la technologie Microsoft Azure, mais opérée en France pour échapper au Cloud Act) ou S3ns (Thales + Google Cloud, sur un modèle similaire) – l’objectif étant de combiner la puissance technologique des américains avec un contrôle par une entité française. Si ces offres aboutissent, elles pourraient fournir aux entreprises une alternative “souveraine” pour les données sensibles : mêmes outils Azure ou Google, mais sous juridiction française.
Diversification des fournisseurs et multi-cloud
Au niveau micro, une recommandation clé pour les entreprises est d’éviter de mettre tous leurs œufs dans le même panier. Plutôt que de confier 100 % de son SI à un seul fournisseur cloud, une stratégie multi-cloud ou hybride peut réduire les risques. Par exemple, héberger certaines applications sur AWS, d’autres sur OVHcloud ou un cloud privé, et conserver éventuellement des serveurs en propre pour des fonctions critiques. 81 % des entreprises dans le monde déclarent d’ailleurs avoir une stratégie multi-cloud en cours d’élaboration ou déjà en place (La liste ultime des statistiques du cloud computing 2024 – Findstack) – signe de la prise de conscience de ne pas dépendre d’un seul cloud. En France, cela peut se traduire par un équilibre entre solutions US et européennes : utiliser Office 365 mais couplé à une solution de sauvegarde interne des mails; ou stocker les données les plus sensibles sur un cloud français tout en exploitant la puissance d’AWS pour le reste. Cette approche de “cloud mixte” offre une meilleure résilience : en cas de panne ou de coupure d’un fournisseur, les autres restent accessibles, et il est plus facile de migrer une charge de travail alternative. Naturellement, cela demande un effort d’ingénierie (interopérabilité, compétences multiples), mais des outils (containers, Kubernetes, etc.) facilitent désormais le déploiement multi-cloud.
Logiciels open source et alternatives locales
Pour diminuer la dépendance aux suites Microsoft/Google, les entreprises peuvent envisager des logiciels open source ou européens. Par exemple, la suite LibreOffice ou OnlyOffice en remplacement (partiel) de Microsoft Office, des solutions comme Nextcloud pour le stockage et la collaboration (alternative à Google Drive/Dropbox, plébiscitée par certaines administrations européennes), ou encore des messageries type BlueMind ou Zimbra en lieu et place d’Exchange. De grandes organisations publiques en France ont déjà franchi le pas par le passé – la Gendarmerie nationale a migré des milliers de postes vers Linux/LibreOffice il y a plus de 10 ans. Ces alternatives demandent parfois des ajustements et ne couvrent pas toujours 100 % des besoins, mais elles offrent l’avantage d’un contrôle accru (code source ouvert, données hébergées localement) et évitent les licences onéreuses. À moyen terme, soutenir ces écosystèmes open source européens peut renforcer la capacité d’indépendance technologique. Bien sûr, tout ne pourra pas être remplacé aisément (il n’existe pas d’équivalent européen à Android ou iOS par exemple), mais réduire la dépendance de 100 % à peut-être 70 % est déjà un progrès en cas de crise.
Encadrement réglementaire et négociations internationales
Du côté de l’État, il est crucial de « reprendre la main » sur certains aspects. Le Digital Markets Act (DMA) européen vise à limiter l’abus de position dominante des gatekeepers numériques. Toutefois, il a été remarqué que le cloud n’a pas encore été pleinement adressé par le DMA, alors que « trois opérateurs américains préemptent plus de 70 % du marché » (Les entreprises françaises en mauvaise posture face aux technologies IT américaines – La Revue du Digital) (Les entreprises françaises en mauvaise posture face aux technologies IT américaines – La Revue du Digital). Des voix (comme le Cigref) appellent l’UE à appliquer plus fermement ces régulations aux acteurs du cloud. De même, le futur EUCS (European Cloud Certification Scheme) a fait débat quant à inclure ou non une clause d’immunité vis-à-vis des législations extra-européennes (Les entreprises françaises en mauvaise posture face aux technologies IT américaines – La Revue du Digital) (Les entreprises françaises en mauvaise posture face aux technologies IT américaines – La Revue du Digital). Il s’agirait d’exiger qu’un service cloud opérant en Europe garantisse que les lois étrangères (comme le Cloud Act US) ne puissent s’appliquer – ce qui pousserait de fait les fournisseurs à des partenariats ou à localiser les données sous entité européenne. Bien que le lobbying international ait affaibli cette exigence dans la version actuelle de l’EUCS (Les entreprises françaises en mauvaise posture face aux technologies IT américaines – La Revue du Digital) (Les entreprises françaises en mauvaise posture face aux technologies IT américaines – La Revue du Digital), le simple fait que ces discussions ont lieu montre une prise de conscience au niveau européen. À moyen terme, la pression politique pourrait amener les géants du cloud à offrir des modalités plus respectueuses de la souveraineté européenne (par peur de se voir fermés du marché). Les entreprises françaises ont tout intérêt à soutenir ces démarches, car elles en seront bénéficiaires : plus de garanties sur la localisation et la confidentialité de leurs données, et potentiellement plus de choix de prestataires.
Recommandations concrètes
Chaque entreprise peut dores et déjà agir pour réduire son exposition aux risques. Il est recommandé de cartographier les dépendances critiques : quels services cloud et logiciels étrangers sont utilisés, pour quelles fonctions vitales. Puis, évaluer l’impact d’une indisponibilité prolongée de chacun et mettre en place des mesures de secours. Par exemple, conserver des sauvegardes régulières de toutes les données cloud sur un support local ou chez un second fournisseur ; doubler les outils de communication (garder une solution de messagerie alternative prête, même basique) ; former les équipes IT à gérer une migration rapide d’une plateforme à une autre en cas d’urgence. Sur le plan contractuel, négocier des clauses de réversibilité avec les fournisseurs (récupération des données en cas de sortie). Il s’agit aussi de tester périodiquement le plan de continuité par des exercices simulant une panne cloud, afin de vérifier que les procédures fonctionnent (comme on le fait pour un plan incendie).
Enfin, à l’échelle nationale, soutenir les champions français et européens du numérique est essentiel. Cela passe par des investissements dans le cloud local, mais aussi par la confiance accordée à ces acteurs : les grandes entreprises et administrations pourraient orienter une part de leurs appels d’offres vers des solutions souveraines (lorsque celles-ci remplissent les critères), pour leur donner du poids. L’objectif n’est pas de se couper du monde ou de bannir les technologies américaines – elles resteront incontournables – mais de diversifier l’écosystème pour éviter une dépendance totale. L’équilibre à trouver est un mix technologique permettant de bénéficier du meilleur des deux mondes : l’innovation des leaders mondiaux, et la maîtrise locale des éléments critiques. Avec une telle approche, si un jour un choc externe survient (panne massive, tensions internationales), l’économie française pourra encaisser le coup plus sereinement, sans être mise à genoux en quelques heures faute d’alternative. En d’autres termes, il s’agit de construire dès maintenant la résilience numérique qui fait défaut aujourd’hui, afin de transformer ce scénario catastrophe d’une semaine de coupure en une simple perturbation gérable. Les chiffres l’ont montré – la dépendance actuelle est très élevée, mais elle peut être réduite par la volonté stratégique, l’investissement et la préparation. C’est un enjeu de compétitivité et de souveraineté pour les années à venir.
Sources utilisées pour ce mémo : Eurostat, ICT usage in enterprises (2021-2023) (Salons Cloud et Datacenter : Quand les usages dictent la transformation digitale des entreprises – GPO Magazine) (Le cloud en Europe : même les petites entreprises s’y mettent ! – IT SOCIAL); Étude Public First/AWS (Salons Cloud et Datacenter : Quand les usages dictent la transformation digitale des entreprises – GPO Magazine) (Salons Cloud et Datacenter : Quand les usages dictent la transformation digitale des entreprises – GPO Magazine); Markess (Exægis) – parts de marché cloud France (Cloud en France : les 3 hyperscalers poursuivent leur croissance – Cloud – Silicon.fr) (Cloud en France : les 3 hyperscalers poursuivent leur croissance – Cloud – Silicon.fr); Statista – parts de marché OS en France (Market share of desktop operating systems in France 2010-2024); Kantar Worldpanel – parts de marché mobiles (2024) (Marché des smartphones en France : Android n°1, iOS n°2 – (Kantar) – EcoConscient); Bitglass – baromètre suites cloud (2016) (50% des organisations françaises ont adopté Office 365… et 32% G Suite) (50% des organisations françaises ont adopté Office 365… et 32% G Suite); Cigref (Henri d’Agrain) – déclaration sur la souveraineté numérique (Les entreprises françaises en mauvaise posture face aux technologies IT américaines – La Revue du Digital) (Les entreprises françaises en mauvaise posture face aux technologies IT américaines – La Revue du Digital) (Les entreprises françaises en mauvaise posture face aux technologies IT américaines – La Revue du Digital); Lloyd’s – rapport « Cloud Down » (2018) (Quels effets d’une panne de cloud sur l’activité économique ?) (Quels effets d’une panne de cloud sur l’activité économique ?); IB Times – panne Azure (2023) (La panne de Microsoft Cloud frappe les utilisateurs du monde entier) (La panne de Microsoft Cloud frappe les utilisateurs du monde entier); Incendie OVH Strasbourg (2021) (Incendie OVH : retour sur le sinistre et ses conséquences) (Incendie OVH : retour sur le sinistre et ses conséquences); La Revue du Digital (2024) (Les entreprises françaises en mauvaise posture face aux technologies IT américaines – La Revue du Digital) (Les entreprises françaises en mauvaise posture face aux technologies IT américaines – La Revue du Digital), etc.