IA et droit d'auteur

IA et droit d’auteur : le point de vue des rapports officiels américains

De ChatGPT à Midjourney en passant par Suno, les outils d’intelligence artificielle générative se sont immiscés dans presque tous les aspects de notre vie créative et professionnelle. Cependant, cette explosion technologique s’est accompagnée d’un flou juridique considérable : à qui appartiennent les œuvres créées ? Comment protéger notre identité numérique ? Face à ces questions complexes, le U.S. Copyright Office, l’autorité américaine en matière de droit d’auteur, a entamé une vaste « Initiative sur l’IA », publiant ses conclusions en plusieurs parties ciblées qui commencent à dessiner des lignes directrices claires. Leurs conclusions, fondées sur une analyse juridique approfondie, révèlent des perspectives surprenantes qui vont à l’encontre de nombreuses idées reçues. Ces documents sont particulièrement intéressants à lire ! Je vous en fait le résumé ici pour alimenter la réflexion sur IA et créativité.

Entraîner une IA n’est pas comme apprendre pour un humain (et ce n’est pas forcément un « fair use »)

La question de l’entraînement des modèles d’IA sur des millions d’œuvres protégées est au cœur des débats juridiques actuels. L’argument principal des développeurs d’IA est que ce processus relève du « fair use » (usage équitable), souvent comparé à la manière dont un humain apprend. Le rapport du Copyright Office rejette fermement une analogie populaire, souvent avancée comme argument juridique par les développeurs eux-mêmes, selon laquelle « l’entraînement de l’IA est comme l’apprentissage humain ».

L’analyse du « fair use » pour l’entraînement d’une IA est beaucoup plus nuancée et dépend fortement de la finalité des résultats produits par le modèle. Si un modèle est entraîné sur des milliers de photographies et génère ensuite des images qui concurrencent directement le marché de la photographie, le « fair use » devient difficile à soutenir. Le rapport introduit un concept puissant pour contrer la défense du « fair use » : la « dilution du marché ». Le préjudice n’est pas seulement la substitution directe, mais la saturation systémique du marché, une menace inédite posée par la vitesse et l’échelle de la génération par IA. Même sans créer de copies directes, le flot massif de contenus générés à faible coût peut dévaluer le travail des créateurs humains.

La vitesse et l’échelle auxquelles les systèmes d’IA génèrent du contenu posent un risque sérieux de dilution des marchés pour les œuvres du même type que celles présentes dans leurs données d’entraînement.

A noter qu’en octobre 2025, un tournant majeur se profile dans l’industrie musicale : les trois grandes majors, Universal Music Group, Warner Music Group et Sony Music Entertainment, sont en passe de conclure un accord historique avec la start-up d’IA musicale Suno. Après plus d’un an de conflits juridiques autour de la formation des modèles d’IA sur des œuvres protégées, ces négociations visent à établir un système de licences permettant à Suno d’utiliser légalement une partie des catalogues musicaux des majors pour entraîner ses modèles et générer de nouvelles compositions. Cet accord inclurait non seulement le paiement de droits de licence, mais aussi la cession d’une petite part de capital dans Suno et Udio, l’autre startup concernée, au profit des majors, en échange d’un règlement des poursuites en cours. Ce mouvement illustre une mutation stratégique : après une période de confrontation, l’industrie musicale s’oriente désormais vers une coopération encadrée avec l’intelligence artificielle, transformant un affrontement juridique en modèle économique inédit où création générative et droits d’auteur cohabitent.

Je suis convaincu d’une résolution des conflits juridiques sur l’entraînement des modèles d’IA à relativement court terme. L’accord des majors avec Suno, Udio ou ceux avec OpenAI en est la preuve. Les outils IA sont là pour perdurer dans les industries créatives.

La frontière subtile pour IA et droit d’auteur : quand l’IA est un simple outil (et que votre œuvre est protégée)

Le Copyright Office établit une distinction fondamentale : celle entre l’utilisation de l’IA comme un outil d’assistance et son utilisation comme un générateur autonome. Lorsque l’IA est employée comme un outil pour aider un créateur humain à réaliser sa vision, par exemple pour corriger les couleurs d’une vidéo, supprimer un objet sur une photographie, ou même pour trouver l’inspiration lors d’un brainstorming, l’œuvre finale reste entièrement protégeable par le droit d’auteur. Dans ces cas, les choix créatifs émanent de l’humain, et la technologie n’est qu’un moyen pour les concrétiser, au même titre qu’un appareil photo ou un logiciel de retouche.

L’exemple le plus puissant de cette distinction est celui du chanteur de country Randy Travis. Alors que sa capacité à parler est limitée depuis un AVC, il a pu sortir une nouvelle chanson en 2024. Sa voix a été recréée à l’aide d’un modèle d’IA entraîné sur ses anciens enregistrements, puis appliquée à la performance d’un autre chanteur. Ici, l’IA n’a pas créé la chanson de manière autonome ; elle a été un outil sophistiqué permettant de réaliser l’intention créatrice de l’artiste, un objectif qui aurait été impossible autrement. L’œuvre est le fruit de sa créativité, assistée par la technologie.

Le Bureau convient qu’il existe une distinction importante entre l’utilisation de l’IA comme un outil pour assister à la création d’œuvres et l’utilisation de l’IA en remplacement de la créativité humaine.

Le droit d’auteur : une protection fondée sur la créativité humaine

Il est important de rappeler à ce stade que le droit d’auteur protège les œuvres de l’esprit originales qui portent l’empreinte de la personnalité de leur auteur humain. C’est un principe fondamental : pour qu’il y ait droit d’auteur, il doit y avoir une création humaine. Une machine, aussi sophistiquée soit-elle, n’a pas d’intention créative propre et ne peut donc pas être considérée comme un « auteur ». C’est cette exigence de paternité humaine qui est au cœur de tout le débat sur l’IA.

Cela m’amène à un aparté sur les aspects de jumeau numérique humain… encore trop peu (et mal) traité par la loi.

La protection de votre « jumeau numérique » : une urgence légale pour tous

Le rapport sur les « répliques numériques » lance un appel urgent pour une nouvelle législation fédérale visant à protéger les individus contre les contrefaçons non autorisées. Le rapport, qui utilise les termes « répliques numériques » (digital replicas) et « deepfakes » de manière interchangeable, contient des recommandations particulièrement radicales. Alors que les débats se concentrent souvent sur les célébrités, la recommandation la plus surprenante est son universalité, arguant que la menace pèse sur la dignité de chaque citoyen, et pas seulement sur la valeur commerciale d’une vedette.

Deux recommandations se distinguent : premièrement, la loi devrait protéger tous les individus, pas seulement les personnalités publiques dont l’identité possède une valeur commerciale. Deuxièmement, elle devrait couvrir les préjudices non commerciaux, ciblant directement des fléaux comme le harcèlement, la diffamation ou la pornographie deepfake qui peuvent détruire des vies sans générer de profit direct pour leurs auteurs. Cette approche est motivée par une réalité glaçante. Le rapport s’appuie sur une statistique issue d’une étude de 2023 : 98 % des vidéos deepfake en ligne sont des contenus à caractère sexuel, et 99 % des individus qui y sont représentés sont des femmes.

Chacun est vulnérable aux préjudices que les répliques numériques non autorisées peuvent causer, quel que soit son niveau de célébrité ou son exposition commerciale antérieure.

Si on revient maintenant sur les cas de protection possible d’une création avec (un peu ou beaucoup) d’intelligence artificielle.

IA et droit d’auteur : quand l’usage de l’IA ne crée pas de droit d’auteur

Dans de nombreux cas, le simple fait d’utiliser une IA générative ne suffit pas pour obtenir la protection du droit d’auteur. Voici les situations les plus courantes.

1. L’Œuvre est entièrement générée par l’IA

C’est le cas le plus simple. Si votre intervention se limite à donner une instruction (un « prompt ») à une IA et que vous utilisez le résultat tel quel, sans modification significative, l’œuvre n’est pas protégeable. La raison est que la part créative, c’est-à-dire la manière dont les idées sont mises en forme (les couleurs, les traits, l’agencement des mots), a été entièrement exécutée par la machine. Vous avez eu l’idée, mais c’est l’IA qui l’a exprimée. De plus, la notion de « similar output » dans les CGU des modèles génératifs dégage les éditeurs de ces modèles de tout recours possible. En effet, vous n’êtes pas à l’abri, même si c’est statistiquement peu probable, que l’IAG sorte pour deux utilisateurs différents un résultat convergent.

2. L’art du prompt : une simple instruction, pas une création

Beaucoup pensent qu’un « prompt » très détaillé et complexe pourrait être considéré comme un acte de création suffisant. Cependant, le consensus juridique actuel, notamment celui du U.S. Copyright Office, est que le prompt seul ne confère pas de droit d’auteur sur le résultat.

Pourquoi ? Un prompt est considéré comme une instruction, une idée ou un concept. Or, le droit d’auteur protège l’expression d’une idée, pas l’idée elle-même. Même avec un prompt très précis, l’utilisateur n’a pas un contrôle direct et suffisant sur la manière dont l’IA va interpréter cette instruction et générer les éléments expressifs de l’œuvre finale. L’IA fonctionne encore comme une « boîte noire » qui prend des décisions créatives autonomes pour combler les vides laissés par le prompt.

Même le fait de modifier et de relancer le prompt des dizaines de fois (« prompt engineering ») est souvent assimilé à une sélection parmi des options générées par la machine, plutôt qu’à un acte de création directe. Vous choisissez le résultat qui vous plaît, mais vous n’avez pas créé son expression.

3. Choisir un contenu généré n’est pas de la création non plus

Le simple fait de choisir une image ou un texte parmi plusieurs options générées par l’IA (même des centaines) n’est généralement pas considéré comme un acte créatif suffisant pour justifier un droit d’auteur. C’est le refus de paternité par adoption. Le Copyright Office indique clairement que sélectionner un résultat parmi des options sur lesquelles on n’a pas eu de contrôle créatif n’est pas un acte de création en soi. Comme l’a fait remarquer un expert, « si je trouve dans une galerie un tableau qui correspond parfaitement à l’idée que j’avais en tête, cela ne fait en aucun cas de moi son auteur » .

IA et droit d’auteur : quand l’usage de l’IA est compatible avec la protection

Heureusement, toute utilisation de l’IA ne vous prive pas de vos droits. La protection est possible dès lors que la contribution humaine devient suffisamment créative et substantielle. Ca veut dire quoi, car de prime abord, le terme connu de longue date sur le sujet pouvait paraître flou. Revue de détails des situations où vous pouvez revendiquer des DA.

1. L’IA comme simple outil d’assistance

C’est le cas le plus évident. Lorsque vous utilisez l’IA comme un outil pour vous aider à réaliser votre propre vision créative, l’œuvre qui en résulte est entièrement protégeable.

  • Exemples : Un photographe qui utilise un logiciel IA pour supprimer un élément d’une photo, un musicien qui utilise un plugin IA pour nettoyer une piste audio, ou un écrivain qui utilise un correcteur orthographique avancé.

Dans ces scénarios, l’IA exécute une tâche technique sous le contrôle direct de l’humain, qui conserve toute l’autorité créative. Facile, vous pouvez mettre un copyright.

2. La modification substantielle d’un contenu généré par l’IA

Ici, vous partez d’une base générée par une IA, mais vous la transformez de manière si significative que le résultat final porte l’empreinte de votre propre créativité. L’IA a fourni une base sur laquelle vous vous exprimez.

  • Exemple : Vous générez une image avec Midjourney, puis vous l’importez dans un logiciel de retouche. Vous y ajoutez vos propres éléments graphiques, vous repeignez des sections entières, vous modifiez radicalement la composition et les couleurs.

C’est le cas par exemple d’une de mes dernières créations (à écouter avec quelques autres sur votre plateforme de streaming préférée) :

Dans ce cas, vos ajouts et modifications créatifs sont protégeables par le droit d’auteur. Attention cependant : la protection ne s’étend pas à l’image de base générée par l’IA, qui reste non protégeable. Votre droit d’auteur est analogue à celui sur une « œuvre dérivée ».

3. La sélection et l’arrangement créatifs (compilation)

Vous pouvez obtenir un droit d’auteur sur une œuvre qui combine des éléments générés par l’IA si votre sélection, coordination ou arrangement de ces éléments est suffisamment original. Cela devient subtil mais l’arrangement de créations faites avec IA peut tout à faire rentrer dans ce cas.

  • Exemple : L’affaire Zarya of the Dawn, un comic book américain, est un cas d’école. L’auteure a écrit le texte elle-même, mais a utilisé une IA pour générer les images. Le U.S. Copyright Office a statué que si les images individuelles n’étaient pas protégeables, l’œuvre dans son ensemble l’était, au titre de la compilation. Le droit d’auteur protégeait alors le texte et l’arrangement créatif du texte et des images, qui ensemble racontaient une histoire.

4. L’apport d’une contribution authentiquement humaine en entrée

Un cas de figure plus subtil mais reconnu également est celui où vous fournissez votre propre œuvre protégeable (un dessin, une photo, une mélodie) comme l’un des principaux « inputs » de l’IA, et que les éléments expressifs de votre création initiale restent clairement perceptibles dans le résultat final.

  • Exemple : L’œuvre Rose Enigma a été enregistrée aux États-Unis sur cette base. L’artiste a fourni son propre dessin fait main à l’IA, accompagné d’un prompt. Dans l’image finale, les éléments clés du dessin original (la forme du masque, la disposition des tiges et des fleurs) étaient clairement reconnaissables. Le droit d’auteur a été accordé, mais limité uniquement à ces éléments humains perceptibles, à l’exclusion des ajouts de l’IA (le photoréalisme, l’éclairage, etc.).

Pour ma part, j’explore ces différentes techniques en image, vidéo et musique. Vous pouvez consulter ma discographie pour écouter et observer un certain nombre de créations depuis 2023 (la préhistoire de l’IA générative).

En résumé : comment protéger vos créations augmentées par IA ?

La ligne de partage est claire : la clé est la paternité humaine, et il faut pouvoir la prouver. Votre apport d’humain doit être substantiel et constatable. Pour mettre toutes les chances de votre côté :

  1. Soyez plus qu’un simple donneur d’ordres. Ne vous contentez pas du premier résultat d’un prompt… ni d’une simple sélection d’un résultat.
  2. Appropriez-vous l’œuvre. Utilisez le résultat de l’IA comme une matière première que vous allez sculpter, modifier et enrichir avec votre propre talent.
  3. Documentez votre processus créatif. Conservez les versions intermédiaires, les esquisses, et tout ce qui peut prouver votre apport substantiel.
  4. Soyez transparent. Si vous déposez une demande de droit d’auteur, il est recommandé de mentionner l’utilisation d’outils d’IA et de préciser la nature de votre contribution personnelle. C’est tout simplement de l’intégrité intellectuelle. Ne faites pas passer le résultat d’une IA pour votre propre travail créatif.

L’IA n’est ni une ennemie ni une solution magique pour le droit d’auteur. C’est un nouvel outil puissant. Et comme pour tout outil, de la caméra au synthétiseur, ce n’est pas lui qui est l’artiste, mais bien la personne qui le manie avec intention, vision et créativité. C’est la vision que je défends : l’usage intelligent des modèles d’IA pour augmenter l’inspiration, la créativité et l’exploration artistique.

Pour consulter les sources documentaires du bureau américain du copyright sur le sujet des droits d’auteur et de l’intelligence artificielle.

Alain Goudey

Imaginer l'Ecole du futur à NEOMA, créer l'identité sonore des marques avec Atoomedia & Mediavea, conseiller sur la transformation numérique avec Sociacom | Expert en éducation, technologies disruptives, IA & design sonore.

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