Plongez-vous dans le monde de l’éducation et vous trouverez un défi omniprésent : la réaction à la lecture. Que ce soit pour déchiffrer des rapports, condenser des chapitres ou débattre d’articles, l’essence même de ces tâches est d’immerger l’étudiant dans le texte, l’invitant à danser avec les mots et les idées.
Mais voilà, l’IA est en train de bouleverser cette danse. Elle dévore des PDF, engloutit des livres entiers et crache des résumés avec une facilité déconcertante. La tentation est réelle : pourquoi un étudiant ne demanderait-il pas à l’IA de lui mâcher le travail ? Bien sûr, l’IA peut trébucher, simplifier à outrance, mais ces résumés rapides et pratiques peuvent façonner, voire remplacer, la pensée de l’étudiant. Le danger ? Une salle de classe remplie d’échos d’IA, privant les discussions de leur richesse et de leur spontanéité.
La lecture et la compréhension de texte, ces fondamentaux de l’éducation, sont en train de vivre une révolution silencieuse. Historiquement, ces devoirs étaient conçus pour évaluer la capacité des étudiants à absorber, analyser et réfléchir sur le contenu. Mais aujourd’hui, avec l’avènement des LLM, l’authenticité de cette compréhension est mise à l’épreuve.
Imaginez un monde où GPT4, Bard ou Claude peut lire, résumer, poser des questions et même débattre sur n’importe quel texte. C’est notre réalité actuelle. Avec une précision étonnante, GPT4 peut décomposer un texte, offrant des analyses qui rivalisent avec celles de nos étudiants les plus assidus. Et le plus déconcertant ? Il est devenu presque impossible de distinguer une analyse générée par l’IA d’une réflexion humaine authentique.
Comment les éducateurs peuvent-ils s’assurer que les étudiants tirent réellement profit de leurs lectures ?
- Lectures en classe : Transformer les sessions de lecture en discussions de groupe en classe, où les étudiants peuvent partager leurs perspectives en temps réel.
- Interdiction de l’IA : Une solution tentante, mais comment définir et contrôler « l’utilisation de l’IA » dans un monde numérique omniprésent ?
- Intégration de l’IA : Plutôt que de la combattre, pourquoi ne pas l’utiliser comme un outil d’apprentissage ? Les étudiants pourraient comparer leurs analyses à celles de l’IA, identifiant les similitudes et les différences.
- Réinventer les devoirs : Les tâches pourraient être axées sur la réflexion critique, demandant aux étudiants de débattre des analyses de l’IA, ou de créer des contenus basés sur leurs lectures, comme des pièces de théâtre, des poèmes ou des nouvelles.
Dans un monde où l’IA peut « comprendre » et analyser les textes aussi bien que la plupart d’entre nous, comment pouvons-nous réinventer l’éducation pour garantir une réelle valeur ajoutée à la lecture et à la compréhension de texte pour nos étudiants ? La balle est dans notre camp et voici quelques idées.
1. L’étude de cas revisitée, « sous contrainte »
C’est l’exemple d’une lecture très courante dans les écoles de commerce : l’étude de cas. En utilisant BingChat ou Claude avec prompt, vous obtiendrez un début de réponse possiblement pertinent : « imaginez que vous êtes un étudiant en MBA et que vous avez lu ce cas, donnez-moi un paragraphe que je devrais dire si on m’appelait pour [ACTION A DEFENDRE DANS LE CAS]. Arrivez à une conclusion définitive sur [ACTION A DEFENDRE DANS LE CAS] et sur les raisons pour lesquelles elle est bonne. »
Pour palier à cela, il faut proposer des cas plus subtiles, moins « tranchés », multi-facettes. En effet avec des questions qui nécessitent une réflexion plus profonde, plus fine, une analyse et une évaluation de la part des étudiants, limitera le risque du copier-coller. Par ailleurs, un cas avec plusieurs dimensions et perspectives possibles encouragera les étudiants à explorer les différentes facettes du problème (par exemple avec une tension entre performance financière et bien être humain ou entre technologie et RSE, etc.). La réponse pourra être moins définitive et l’IA sera plus en difficulté.
Il est aussi possible de faire répondre au cas « sous contrainte » (obtenir une rentabilité de 20%, aucune prise de risque dans l’opinion, etc.) puis de confronter les étudiants dans leurs différents rôles. Cela maximisera l’approche critique du traitement du cas et l’apprentissage autour du cas. Là aussi l’IA sera plus en peine dans la « confrontation » des points de vue.
2. Le résumé illustré d’un ouvrage ou d’une pensée
L’IA est particulièrement douée pour le résumé, la synthèse et la transformation d’un texte en entrée. C’est une vraie aide de première lecture. Cela peut aussi être un coach pour mieux rentrer dans le document. Ainsi il est possible d’utiliser des IA comme Claude (qui accepte des données plus longues) ou BingChat (et d’autres encore) pour interagir avec le document (page web, pdf, etc.). Les résumés sont plutôt bons et pertinents. Cela fonctionne particulièrement bien pour les ouvrages universitaires ou sur des thèmes assez génériques.
Dans le domaine d’ouvrage spécifique de littérature ou sur des auteurs plus pointus, l’IA sera en revanche en difficulté.
Dans tous les cas, vous pouvez orienter la demande vers ce que j’appelle le résumé illustré, c’est-à-dire une synthèse faisant des références précises à des passages jugés clés du texte. En effet, le risque d’hallucination dans ce cas est particulièrement fort et l’étudiant peu scrupuleux tombera rapidement dans le panneau. Il risque notamment de faire des contre sens majeurs, voire d’inventer des passages entiers avec cette technique où il faut reprendre « des éléments précis du texte ».
3. La lecture préparatoire à la création d’un quizz sur lequel il faut donner les bonnes réponses
À première vue, cela peut sembler être un gadget technologique. Mais en creusant un peu, on découvre une approche pédagogique intéressante pour développer la lecture.
Avec ChatGPT, fini le simple bachotage ! Les étudiants sont d’abord invités à comprendre et mémoriser le contenu d’un texte. Puis, le quizz généré par l’IA les met au défi, les poussant à appliquer leurs connaissances, à analyser les nuances du texte, et même à évaluer la pertinence de leurs réponses. Et le clou du spectacle ? Les questions (ou les réponses proposées) peuvent être fausses (si l’IA a halluciné)… Il n’y aura pas d’autre méthode pour s’en sortir que de vérifier avec soin le quizz que l’étudiant a auto-généré pour le texte qu’il doit lire.
Conclusion
Pour résumé, l’ère numérique transforme la manière dont les étudiants interagissent avec les textes. Face à cette révolution, il y a à mon sens trois stratégies possibles autour de la lecture pour les formateurs :
L’IA comme baromètre de la complexité du texte ou du cas : avant de donner une lecture, testez-la avec les modèles d’IA les plus récents et orientez les devoirs vers des sujets que l’IA peine à maîtriser…
L’IA comme assistant de l’élève (voir les cas proposés ici), pas comme remplaçant : structurez les devoirs de manière à ce que l’IA aide à la compréhension préliminaire. Utilisez les lectures comme base pour des discussions en classe. Astuce : gardez le sujet de discussion secret jusqu’à la dernière minute pour minimiser la dépendance à l’IA et notez la qualité des interventions des étudiants en classe.
L’IA comme partenaire de lecture : encouragez les étudiants à collaborer avec l’IA. Qu’ils scrutent les réponses de l’IA à la recherche d’erreurs, ou qu’ils élaborent sur les points forts et faibles soulevés par l’IA. Transformer l’IA en partenaire de lecture peut ouvrir des horizons passionnants, mais cela nécessite une approche audacieuse et innovante… et cela va en plus développer leur maîtrise de l’outil et leur capacité à avoir une vision critique de ce qui est proposé !
Une réflexion sur « L’IA dans la lecture : la fin de la pensée autonome ? »