Les trois ans de ChatGPT d'OpenAI

30 nov. 2022 – 30 nov. 2025 : 3 ans de ChatGPT qui ont reconfiguré le monde

Le 30 novembre 2022, OpenAI appuie sur “Enter” et publie ChatGPT, simple interface web posée sur GPT-3.5.
3 ans de ChatGPT plus tard, l’entreprise est valorisée 500 milliards de dollars, au niveau de SpaceX et ByteDance. On n’est plus dans le hack de laboratoire, mais dans une nouvelle couche de l’infrastructure numérique mondiale.

Entre ces deux dates, il s’est passé plusieurs choses à la fois :

  • une adoption grand public plus rapide que tout ce qu’on avait vu avant (plus rapide que TikTok, Instagram ou Netflix) ;
  • une pénétration quasi totale des grandes entreprises ;
  • une course technologique à la puissance de calcul et aux modèles de plus en plus sophistiqués ;
  • une recomposition juridique : d’un non-profit militant à une “for-profit” structurée pour lever des dizaines de milliards ;
  • une controverse permanente sur la sécurité, l’éthique, les copyrights, les risques psychosociaux.

Autrement dit : en trois ans, ChatGPT est devenu à la fois outil, marché, symbole et champ de bataille.

1. 3 ans de ChatGPT : une croissance financière vertigineuse… et un modèle encore instable

Des revenus qui explosent

En 2020, OpenAI réalise 3,5 millions de dollars de chiffre d’affaires. En 2025, l’entreprise vise 12,7 milliards de dollars de revenus. Multiplié par plus de 3 600 en cinq ans. Cette trajectoire repose sur trois piliers :

  1. Les abonnements ChatGPT (Plus, Pro, Business, Enterprise), facturés par siège et par mois.
  2. L’API pour développeurs, qui alimente des milliers de produits tiers.
  3. Les contrats grands comptes et intégrations sectorielles.

La seule application mobile ChatGPT voit ses revenus passer d’environ 174 millions de dollars en 2024 à plus de 1,3 milliard en 2025. On n’est plus dans le “petit test”, mais dans une machine à cash potentielle.

OpenAI, des pertes colossales

On n’est encore que dans du potentiel, justement. Car derrière les revenus, les coûts.
En 2024, OpenAI perd environ 5 milliards de dollars (soit plus d’un demi million par heure). Sur la période 2023–2028, les pertes cumulées anticipées frôlent les 44 milliards. Pour 2025, la projection est simple : environ 13 milliards de revenus pour 22 milliards de dépenses. Soit 9 milliards de pertes et 1,69 dollar dépensé pour chaque dollar encaissé.

La plupart des coûts partent dans le calcul et la R&D :

  • entre 60 % et 80 % des dépenses sont liées à l’entraînement et à l’exploitation des modèles ;
  • au premier semestre 2025, les dépenses de R&D dépassent 6,7 milliards de dollars.

OpenAI vise la rentabilité autour de 2030, avec un objectif de 200 milliards de dollars de revenus annuels et des marges brutes supérieures à 60 %. Autrement dit, l’entreprise parie sur deux choses : l’effet d’échelle et la baisse (relative) du coût marginal de l’IA.

Une levée de fonds hors norme pour compenser

Cette stratégie n’existe que parce que les marchés acceptent de la financer. OpenAI a levé environ 58 milliards de dollars en 11 tours de financement. En mars 2025, elle réalise la plus grande levée privée de l’histoire de la tech : 40 milliards de dollars en une seule fois, menée par SoftBank, avec Microsoft et plusieurs grands fonds.

En trois ans, la valorisation post-money passe d’une vingtaine de milliards à 500 milliards, faisant d’OpenAI l’un des rares “demi-trillion companies”… sans être cotée en bourse.

Pour un décideur, le message est clair : ChatGPT n’est pas une expérimentation, c’est un pari macro-économique massif sur la centralité de l’IA générative dans la prochaine décennie.

2. 3 ans de ChatGPT : une adoption utilisateur et entreprise sans précédent

L’application à la croissance la plus rapide de l’histoire

Quelques chiffres suffisent à comprendre le changement d’échelle :

  • 1 million d’utilisateurs en cinq jours après le lancement ;
  • 100 millions d’utilisateurs mensuels en deux mois seulement ;
  • environ 700 à 800 millions d’utilisateurs actifs hebdomadaires fin 2025, toutes plateformes confondues ;
  • plus d’un milliard de téléchargements mobiles cumulés ;
  • 355 millions d’utilisateurs actifs mensuels et 66 millions quotidiens sur mobile.

En trois ans, ChatGPT est passé du statut de gadget à celui d’outil de travail quotidien pour une part significative de la population connectée.

Une pénétration massive dans les entreprises

Côté B2B, le constat est encore plus frappant : 92 % des entreprises du Fortune 500 utilisent déjà ChatGPT ou des outils basés sur OpenAI. Le lancement de ChatGPT Enterprise en août 2023 a servi de cheval de Troie : sécurité renforcée, isolation des données, gouvernance adaptée aux DSI. Il faut toutefois noter de fortes disparités selon les zones géographiques du monde.

On parle aujourd’hui de plus de 600 000 utilisateurs professionnels payants, et surtout de cas d’usage récurrents : assistance à la rédaction, support client, génération de code, analyse documentaire, aide à la décision.

Pour l’enseignement supérieur, plus spécifiquement, cela signifie deux choses :

  1. Nos partenaires entreprises vivent déjà dans un monde “post-ChatGPT”.
  2. Nos diplômés arrivent sur un marché du travail où la maîtrise de ces outils est présupposée, pas accessoire.

3. De GPT-3.5 à GPT-5 : trois ans de saut technologique

Une chronologie dense

En trois ans, OpenAI a enchaîné les générations de modèles à un rythme inédit, (très) rapide, pour maintenir une sorte de leadership technologique pour tenter de « rafler la mise ». Pour mémoire, quelques dates :

  • GPT-3.5 / ChatGPT (novembre 2022) : démocratisation du RLHF et du chatbot grand public.
  • GPT-4 (mars 2023) : multimodalité texte + image, meilleurs scores de raisonnement.
  • GPT-4 Turbo (novembre 2023) : contexte étendu, coûts réduits.
  • GPT-4o (mai 2024) : “omnimodal”, intégrant texte, voix et images dans un même modèle.
  • Série o1 / o3 (2024–2025) : modèles de “raisonnement” avec chaînes de pensée plus explicites.
  • GPT-4.5 (début 2025) : meilleure planification, meilleure gestion de tâches complexes.
  • GPT-5 (août 2025) : positionné comme le modèle “le plus intelligent” d’OpenAI, avec une pensée intégrée accessible au grand public.

Derrière les slogans marketing, une réalité : le passage d’un outil principalement conversationnel à un système capable de planifier, orchestrer des outils et résoudre des problèmes complexes sur plusieurs étapes.

OpenAI, c’est aussi maintenant un écosystème de produits

ChatGPT n’est plus seul. OpenAI a construit un portefeuille cohérent et très large de modèles :

  • DALL-E pour l’image ;
  • Whisper pour la transcription et la traduction audio ;
  • Sora pour la vidéo ;
  • un GPT Store pour distribuer des “agents” spécialisés ;
  • ChatGPT Search pour concurrencer les moteurs de recherche classiques.

Pour les organisations, ces briques forment une “suite cognitive” : générer des supports, analyser des données, produire des visuels, prototyper des expériences pédagogiques, automatiser des tâches administratives. En trois ans, l’outillage de base du travail intellectuel a été profondément recomposé.

4. Crises, gouvernance et bascule juridique : les dessous de la success story

Le séisme de novembre 2023

Le 17 novembre 2023, le conseil d’administration d’OpenAI licencie brutalement Sam Altman pour “manque de franchise”. L’entreprise vacille en quelques heures :

  • CEO limogé, remplacements successifs à la direction ;
  • Microsoft qui annonce créer une nouvelle entité IA avec Altman ;
  • plus de 700 salariés sur 770 qui menacent de démissionner.

Cinq jours plus tard, Altman est réinstallé comme CEO, et le conseil d’administration est largement renouvelé. L’épisode révèle au passage une tension structurelle : entre une vision très prudente de la sécurité de l’IA et une vision très agressive de la commercialisation.

De la fondation à la Public Benefit Corporation

Créée en 2015 comme organisation à but non lucratif, OpenAI a progressivement basculé vers une structure à but lucratif, avec d’abord un “profit cap”, puis son abandon. En 2024–2025, l’entreprise devient une Public Benefit Corporation (PBC), avec :

  • une fondation qui conserve une participation significative ;
  • un véhicule for-profit qui porte la majorité des activités commerciales ;
  • Microsoft comme actionnaire de référence à 27 %.

Cette restructuration déclenche critiques, enquêtes et procès. Elon Musk attaque OpenAI pour “trahison de sa mission initiale”. Des médias poursuivent l’entreprise pour violation du droit d’auteur. Des familles l’attaquent pour le rôle allégué de ChatGPT dans des suicides d’adolescents.

En clair : la promesse “IA au service de l’humanité” se frotte aux réalités d’un modèle hyper-capitalistique, centré sur la capture d’un marché colossal.

5. Microsoft, la compétition et la géopolitique de l’IA

Un partenaire… devenu aussi concurrent

Depuis 2019, Microsoft a investi environ 13,8 milliards de dollars dans OpenAI. En échange, accès privilégié aux modèles, intégration dans Azure, Copilot partout dans l’écosystème Microsoft. En 2025, le contrat est renégocié : Microsoft détient 27 % du nouveau groupe OpenAI, OpenAI s’engage à acheter 250 milliards de dollars de services Azure, les droits d’exploitation sont prolongés… mais l’exclusivité se desserre et Microsoft commence à reconnaître OpenAI comme concurrent dans ses documents officiels.

Microsoft subit même une perte de plusieurs milliards liée à la valorisation d’OpenAI dans ses comptes. La relation bascule donc vers quelque chose de plus ambigu : partenaire stratégique, client XXL, fournisseur, et rival. Un classique du monde de la tech somme toute.

Une compétition mondiale

OpenAI n’est pas seule. Face à elle :

  • Google et ses modèles Gemini, qui font une remontada hallucinante ces dernières semaines ;
  • Anthropic avec Claude, qui se maintient très largement dans la course avec la version 4.5 ;
  • Meta et sa stratégie open-source avec LLaMA (dont on n’entend plus trop parler pour le moment) ;
  • xAI (Grok) adossé à l’écosystème X/Twitter, qui se classe progressivement parmi les meilleurs modèles du marché ;
  • des acteurs chinois comme DeepSeek, qui continue leur pousser concurrentielle.

ChatGPT domine encore le marché des chatbots (autour de 75 % de part de marché), mais la concurrence progresse, en particulier grâce aux modèles ouverts, moins chers et plus personnalisables.

Pour les universités et les entreprises, l’enjeu stratégique est là : éviter une dépendance totale à un seul acteur, garder une capacité de choix et d’arbitrage entre modèles, et développer des compétences internes pour comprendre cette diversité.

6. Sécurité, régulation et viabilité : les défis des 3 ans de ChatGPT à venir

Un modèle économique sous tension

L’un des points les plus sensibles de ces 3 ans de ChatGPT, rarement abordé dans les discours célébratoires, est la viabilité du modèle d’affaires autour de l’IA générative :

  • des coûts qui augmentent avec l’usage ;
  • une concurrence open-source qui tire les prix vers le bas ;
  • une dépendance aux levées de fonds et aux partenariats géants (SoftBank, Microsoft, etc.) ;
  • un programme d’investissement titanesque (Project Stargate et ses 500 milliards de dollars).

OpenAI vise l’AGI et un rôle central dans l’infrastructure numérique globale. Les investisseurs, eux, viseront tôt ou tard des cash-flows. Entre les deux, il y a un espace de tension qui va structurer la suite de l’histoire.

Sécurité, éthique et régulation

Sous la pression des régulateurs, des Etats et de la société civile, OpenAI renforce sa gouvernance de la sécurité : nouveaux comités, collaborations avec autorités publiques, révisions de politiques d’usage, interdictions explicites sur certains domaines sensibles (notamment médical et juridique sans supervision humaine). Pour le monde académique, et également celui des affaires, c’est un signal important :

  • ces outils ne sont pas neutres ;
  • leurs conditions d’usage évoluent régulièrement ;
  • les établissements doivent se doter de politiques internes claires (charte IA, gouvernance des données, accompagnement des usagers).

7. Que signifient ces 3 ans de ChatGPT pour l’enseignement supérieur ?

Pour le monde académique et les établissements de formation, ces trois années offrent un cas d’école quasi parfait de nouvelle transformation liée à l’IA :

  1. Adoption d’une innovation disruptive : un outil qui court-circuite ou reconfigure massivement des tâches cognitives (rédiger, résumer, structurer, coder) et rebat les cartes des compétences attendues, questionnant de fait la raison d’être des Universités et de l’Ecole.
  2. Gouvernance d’une organisation hybride : une entité qui se dit au service de l’humanité mais s’adosse à un modèle financier ultra-capitalisé qui se chiffre en dizaine de milliards de dollars.
  3. Transformation des métiers de la connaissance : cols blancs, mais aussi enseignants, chercheurs, étudiants, personnels administratifs voient leur quotidien potentiellement redéfini.

Trois questions structurantes se posent désormais aux directions d’établissements :

  1. Comment intégrer l’IA générative dans les maquettes pédagogiques sans niveler les exigences intellectuelles, mais en les déplaçant vers l’analyse, la créativité, la pensée critique ? Quelques éléments de réponses dans mon article sur les compétences à l’ère de l’IA.
  2. Comment organiser la formation des équipes (enseignants, administratifs, DSI) pour éviter à la fois le rejet défensif et l’enthousiasme naïf ? Dès 2023, nous avons formé massivement la communauté NEOMA à l’IA générative. J’ai aussi contribué à cette étude FNEGE sur l’IA générative dans l’enseignement supérieur qui donne des pistes de réflexion depuis 2024.
  3. Comment articuler souveraineté, éthique et efficacité, dans un monde dominé par quelques acteurs américains et chinois, tout en voyant émerger une offre européenne encore fragile mais stratégique ? Là on rejoint les sujets géopolitiques de l’IA générative, qu’il vaut mieux maîtriser un minimum.

Fêter les 3 ans de ChatGPT, c’est accepter de changer de paradigme

Célébrer les trois ans de ChatGPT ne consiste pas seulement à admirer le feu d’artifice des chiffres : revenus, valorisation, utilisateurs. C’est reconnaître qu’en trois ans :

  • le travail de la connaissance a changé d’infrastructure ;
  • la frontière entre cognition humaine et assistance algorithmique est devenue (très) poreuse ;
  • l’économie de l’IA s’est structurée autour de paris financiers, géopolitiques et technologiques sans précédent.

Pour les décideurs académiques et les dirigeants d’entreprises, la vraie question n’est plus “ChatGPT est-il une mode ?”, mais :

Comment redessiner nos institutions, nos modèles économiques et nos pratiques pédagogiques dans un monde où ce type d’IA devient aussi banal que l’email, sans jamais en être aussi neutre ?

Les trois premières années ont été celles de la découverte et de la sidération. Les trois prochaines seront celles de la structuration, des arbitrages et, très probablement, des consolidations. L’issue, durable, soutenable ou non, reste ouverte.

Et c’est précisément pour cela qu’il est urgent d’en parler sérieusement dans nos conseils d’administration, nos COMEX, nos instances, nos universités, nos écoles, nos collectivités territoriales, etc.

A mon modeste niveau, j’ai la chance d’être aux premières loges de cette vague massive de transformation et je contribue à un partage de connaissances et à une diffusion vers les décideurs via ce blog, mes posts sur les réseaux sociaux, des conférences, des sensibilisations de Comex, etc. N’hésitez pas à me contacter.

Alain Goudey

Imaginer l'Ecole du futur à NEOMA, créer l'identité sonore des marques avec Atoomedia & Mediavea, conseiller sur la transformation numérique avec Sociacom | Expert en éducation, technologies disruptives, IA & design sonore.

Voir tous les articles de Alain Goudey →

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *