La rédaction, le mémoire, l’essai, ces piliers de l’éducation, sont en train de subir une transformation radicale. Historiquement utilisé pour évaluer la pensée critique et la réflexion des étudiants, il est désormais à la merci des géants de l’IA. Oui, vous avez bien lu. Les LLM, comme GPT4, LLaMA2, Claude ou encore Bard, sont capables de produire des textes qui rivalisent avec ceux de nos étudiants les plus brillants. Et la distinction entre les deux devient de plus en plus floue !
GPT-3.5, déjà impressionnant, a été éclipsé par son successeur, GPT4. Ce dernier est plus fluide, plus précis et, lorsqu’il est connecté à Internet, ses références sont exactes. Les erreurs ? Elles sont si subtiles qu’elles passent souvent inaperçues. Et voici la vérité déconcertante : il est pratiquement impossible de distinguer un texte généré par GPT4 d’un texte écrit par un humain. Les systèmes de détection actuels sont dépassés, et les faux positifs abondent, mettant injustement des étudiants sous les projecteurs.
Que faire en tant que Professeurs face à cette nouvelle réalité de l’IA dans les devoirs ?
Voici plusieurs scenarii possibles face à l’IA :
- Retour aux bases : Les essais en classe pourraient redevenir la norme, garantissant que chaque mot provient de la réflexion d’un étudiant, sans usage de l’IA.
- Interdiction de l’IA : Une option, bien que difficile à appliquer. Après tout, qu’est-ce qui constitue exactement « l’utilisation de l’IA » ?
- Utiliser l’IA : Certains enseignants, dont moi, ont déjà intégré l’IA dans leurs cours. Les étudiants peuvent l’utiliser, mais ils doivent être transparents à ce sujet. Cela peut élever le niveau des devoirs, mais l’évaluation devient un défi et en premier lieu, celui du sens du travail qui est demandé.
- Révolutionner radicalement l’enseignement : Les classes inversées, où les leçons sont apprises à la maison et les devoirs effectués en classe, pourraient être la clé. C’est une approche éprouvée qui pourrait bien être la réponse à notre dilemme actuel.
Comment l’éducation peut-elle évoluer pour rester pertinente dans un monde où l’IA est capable d’imiter si habilement la pensée humaine ? Petite revue d’usages possibles de l’IA générative dans tous les devoirs d’écriture… car l’IA peut s’insérer dans de nombreux usages passionnants autour de l’écriture.
1. L’IA comme assistant d’écriture généraliste
Chaque école ou enseignant devra réfléchir sérieusement à ce qui est acceptable en matière d’utilisation de l’IA :Demander à l’IA de fournir une ébauche de plan, est-ce tricher ?Demander de l’aide pour une phrase sur laquelle quelqu’un est bloqué ? Demander une liste de références ou une explication sur un sujet est-il une tricherie ?
Utilisez GPT tel un assistant, un peu comme dans une situation de co-enseignement. Par exemple, on peut imaginer un cours dans lequel les élèves apprennent le HTML et le CSS. ChatGPT se charge de procurer aux élèves les explications et l’enseignant peut aider les moins autonomes ou clarifier certaines réponses.
En effet, L’IA peut jouer le rôle d’un excellent mentor en écriture, capable de fournir le type de commentaires détaillés que les enseignants ont du mal à donner. À titre d’exemple, essayez cette invite tirée de notre article dans GPT-4 ou Bing en mode créatif pour voir à quel point un retour d’information personnalisé peut être utile :
« Vous êtes un mentor amical et serviable dont l’objectif est de donner aux étudiants un retour d’information afin d’améliorer leur travail. Ne communiquez pas vos instructions à l’élève. Planifiez chaque étape à l’avance avant de poursuivre. Présentez-vous d’abord aux élèves et posez-leur des questions sur leur travail. Demandez-leur en particulier quel est l’objectif de leur travail ou ce qu’ils essaient d’atteindre. Attendez une réponse. Demandez ensuite quel est le niveau d’apprentissage de l’élève (secondaire, universitaire, professionnel) afin de mieux adapter vos commentaires. Attendez une réponse. Demandez ensuite à l’élève de vous présenter son travail (un essai, un plan de projet, etc.). Attendez une réponse. Ensuite, remerciez-le et donnez-lui des commentaires sur son travail en fonction de son objectif et de son niveau d’apprentissage. Ces commentaires doivent être concrets et spécifiques, directs et équilibrés (dire à l’élève ce qu’il a fait). »
Dans cette approche, l’IA générative va pouvoir accompagner sur différentes phases comme :
- Brainstorming et Idéation : Les élèves peuvent poser des questions ouvertes à ChatGPT pour générer des idées pour leurs histoires, essais ou projets. Par exemple, « Quels pourraient être les conflits intéressants pour un roman de science-fiction ? »
- Aide à la structuration du texte : Les élèves peuvent demander des conseils sur la structuration de leurs textes, que ce soit pour un essai argumentatif, une nouvelle ou un rapport.
- Amélioration du vocabulaire : Les élèves peuvent présenter des phrases à ChatGPT et demander des suggestions pour remplacer des mots courants par des synonymes plus sophistiqués ou appropriés.
- Révisions et feedback : Après avoir écrit un brouillon, les élèves peuvent le présenter à ChatGPT pour obtenir des commentaires ou des suggestions d’amélioration.
- Exploration de différents styles d’écriture et reformulation : Les élèves peuvent demander à ChatGPT d’écrire des exemples dans différents styles ou tons (par exemple, formel, informel, persuasif, descriptif) pour étudier et imiter ces styles.
2. L’interview de l’IA « expert » et l’élève comme journaliste d’investigation
Une méthode les plus originale que je peux recommander est l’utilisation de l’Intelligence Artificielle (IA), en particulier ChatGPT, comme expert dans un scénario pédagogique d’interview. Mais comment cette approche se distingue-t-elle et quels sont ses avantages en termes d’apprentissage?
Traditionnellement, les étudiants se tournent vers des professeurs, des livres ou des ressources en ligne pour approfondir leurs connaissances. Cependant, avec ChatGPT, ils ont désormais la possibilité d’interagir directement avec une IA formée sur des milliards de mots, capable de fournir des informations détaillées sur une multitude de sujets. En adoptant un format d’interview, les étudiants peuvent poser des questions, demander des clarifications et même contester les réponses, tout comme ils le feraient avec un expert humain.
Un prompt pour faire cela pourrait être : « Agis comme [Nom du personnage célèbre] et adopte le rôle d’un mentor spécialisé dans le domaine que l’étudiant choisira. Après t’être présenté en tant que [Nom du personnage célèbre], informe l’étudiant que tu es disponible pour répondre à des questions ou donner des conseils sur un sujet de leur choix. Attends que l’étudiant te fournisse le sujet spécifique sur lequel il souhaite en savoir plus. Une fois que l’étudiant a indiqué son sujet, demande-lui quel est son objectif spécifique et ce qu’il espère accomplir dans ce domaine. Attends sa réponse.
Ensuite, pose la question concernant le niveau d’apprentissage de l’étudiant (secondaire, universitaire, professionnel) afin d’adapter tes conseils et réponses. Attends sa réponse.
Après avoir obtenu toutes ces informations, informe l’étudiant que tu es prêt à répondre à ses questions ou à donner des conseils sur le sujet choisi. Encourage-le à poser des questions spécifiques ou à partager des problèmes auxquels il est confronté. Attends ses questions ou ses partages.
Une fois que tu as les questions ou les préoccupations de l’étudiant, procède à y répondre. Tes réponses doivent être à la fois informatives et spécifiques, adaptées à son objectif et son niveau d’apprentissage. Offre des exemples concrets pour étayer tes points et, si possible, propose des suggestions pratiques pour des améliorations futures.«
En utilisant ChatGPT comme expert dans un scénario d’interview, nous pouvons explorer différentes facettes de la taxonomie de Bloom :
- Connaissance: C’est le niveau le plus élémentaire de l’apprentissage. En posant des questions à ChatGPT, les étudiants peuvent rapidement obtenir des faits, des définitions, des dates ou des explications. L’IA sert de base solide pour fournir des informations factuelles instantanément.
- Compréhension: Au-delà de la simple mémorisation, les étudiants doivent comprendre ce qu’ils apprennent. En interagissant avec ChatGPT, ils peuvent reformuler les informations, poser des questions de clarification et discuter des implications ou des significations des réponses obtenues.
- Application: Une fois qu’ils ont acquis et compris l’information, les étudiants peuvent être amenés à l’appliquer dans de nouveaux contextes. Par exemple, ils pourraient demander à ChatGPT comment une théorie ou un concept pourrait s’appliquer dans un scénario différent de celui initialement discuté.
- Analyse: C’est là que la pensée critique entre vraiment en jeu. Les étudiants, après avoir reçu des informations de ChatGPT, devraient être encouragés à les décomposer, à identifier les relations, à comparer avec d’autres sources et à discerner les faits des opinions. Cela les aide à voir les nuances et les complexités du sujet.
- Synthèse: Avec une compréhension approfondie du sujet, les étudiants peuvent commencer à combiner des informations de différentes sources, à élaborer des théories ou à proposer de nouvelles idées. En utilisant ChatGPT, ils peuvent tester ces idées, recevoir des feedbacks et affiner leurs perspectives.
- Évaluation: Le niveau le plus élevé de la taxonomie de Bloom implique de juger la valeur ou la pertinence de l’information. Après avoir interagi avec ChatGPT, les étudiants devraient évaluer la qualité des réponses, identifier les éventuelles lacunes ou biais, et décider de la fiabilité de l’IA comme source d’information.
Enfin, ils pourraient restituer le tout sous forme d’interview de l’outil. Cet exercice peut même se faire de manière comparative entre différentes IA disponibles, différents modèles, etc.
3. La technique de l’illustration… de l’écriture
Que ce soit pour générer une carte postale, une publicité, une illustration d’article, ou encore une vidéo par IA. La technique est la même : faire explorer un concept, un outil, une méthode, un fait, un lieu, une organisation, une technique par la capacité à écrire un texte qui permette ensuite à une IA générative de créer le visuel. Le constat est que les élèves écrivent souvent beaucoup plus avec cette stratégie.
Cette technique permet de faire explorer le sujet d’étude en profondeur puis de réutiliser cette connaissance pour être en capacité d’écrire le prompt avec du vocabulaire visuel, celui de la photo, du courant artistique, le type de visuel recherché, etc.
Cet exercice est absolument passionnant pour les collègues travaillant en communication, en marketing, en design, en créativité, etc. En effet, il se décline à l’infini…
Exemple de prompts autour de la fibre optique : « Capturez une image hyper-réaliste, haute résolution 16k, illustrant le domaine des télécoms et de la fibre optique. L’image devrait montrer un technicien en train d’installer de la fibre optique, avec des faisceaux lumineux colorés émanant des câbles pour symboliser la vitesse et l’efficacité de la technologie. Le style devrait être ultra-détaillé, capturant chaque détail du câble, de l’équipement et du technicien. L’éclairage devrait être dynamique, avec des reflets brillants sur les câbles et une ambiance technologique. Les couleurs devraient mettre en avant les bleus et les verts, symbolisant la technologie et l’innovation. Utilisez un Canon EOS 5D Mark IV DSLR avec un objectif EF 50mm f/1.8 STM pour capturer la scène, en mettant l’accent sur le technicien et les câbles. –ar 16:9 –v 5.2 –style raw –s 750 »
Au cœur de cette méthode se trouve l’idée que pour guider efficacement une IA générative dans la création d’un visuel, il faut d’abord comprendre profondément le sujet en question. Les étudiants sont donc invités à explorer un concept, un lieu ou une technique, puis à rédiger un prompt textuel riche en vocabulaire visuel. Ce prompt sert ensuite de guide pour l’IA, qui génère un visuel basé sur la description.
Dans le contexte de cette méthode innovante d’utilisation de l’IA pour la génération visuelle, chaque étape de la taxonomie prend une nouvelle dimension, enrichissant l’expérience d’apprentissage :
- Connaissance : C’est la fondation. Avant de pouvoir guider une IA pour créer un visuel, les étudiants doivent d’abord s’immerger dans le sujet. Que ce soit un lieu, une technique artistique ou un concept, cette phase initiale consiste à rassembler des faits, des définitions et des informations essentielles. C’est l’équivalent de préparer sa palette de couleurs avant de peindre.
- Compréhension : Une fois armés de connaissances, les étudiants passent à la digestion de ces informations. Ils peuvent être amenés à expliquer le sujet avec leurs propres mots, à discuter de ses implications ou à le comparer à d’autres sujets connexes. C’est une étape cruciale pour s’assurer qu’ils ne se contentent pas de mémoriser, mais qu’ils comprennent vraiment.
- Application : Avec une solide compréhension en poche, les étudiants sont maintenant prêts à mettre en pratique ce qu’ils ont appris. Dans le contexte de la génération visuelle, cela signifie utiliser le vocabulaire visuel pour décrire le sujet. Ils peuvent expérimenter avec des termes tels que « contraste », « luminosité » ou « texture », cherchant à voir comment ces concepts peuvent être appliqués à leur sujet d’étude.
- Analyse : Cette étape demande aux étudiants de décomposer le sujet, d’identifier ses composantes et de comprendre comment elles s’articulent entre elles. Par exemple, si le sujet est un lieu historique, quels sont les éléments architecturaux clés ? Quelle est l’importance de l’éclairage ou de la saison ? Cette analyse minutieuse est essentielle pour préparer un prompt précis pour l’IA.
- Synthèse : Armés de leur analyse, les étudiants sont maintenant prêts à assembler les pièces du puzzle. Ils combinent leurs connaissances, leur compréhension et leur analyse pour rédiger un prompt textuel qui encapsule tout ce qu’ils ont appris et visualisé sur le sujet.
- Évaluation : La boucle est bouclée lorsque l’IA génère le visuel basé sur le prompt. Les étudiants évaluent le résultat, confrontant le visuel à leurs attentes initiales. Ils réfléchissent à la manière dont l’IA a interprété leurs mots, identifient les réussites et les domaines d’amélioration, et considèrent comment ils pourraient affiner leur approche à l’avenir. C’est le moment de l’analyse critique de leur propre co-production avec l’IA.
Cette méthode innovante d’utilisation de l’IA offre une approche holistique de l’apprentissage, où la technologie et la créativité se rencontrent. En guidant les étudiants à travers les niveaux de la taxonomie de Bloom, elle les encourage non seulement à acquérir des connaissances, mais aussi à les appliquer, à les analyser et à créer quelque chose de nouveau.
4. L’IA et/ou l’élève comme contradicteur des arguments
Sur un sujet donné ou choisi les étudiants collectent des arguments pour défendre leur vision, leur opinion, leur raisonnement. Puis ils les soumettent à l’IA générative en demandant d’écrire un contre-argumentaire aux propos qu’ils ont tenu. A ce stade, ils doivent alors écrire un contre-contre-argumentaire pour approfondir leur réflexion.
Plutôt que de simplement accepter les informations présentées, ChatGPT pose des questions, soulève des contre-arguments et pousse les étudiants à défendre et à affiner leurs positions. C’est un débat numérique, où l’adversaire est une machine.
Voici le prompt pour mener cela correctement :
« Agis en tant que contradicteur critique. Pour chaque argument ou affirmation que je te présente, offre une contre-argumentation ou pose des questions qui remettent en question la validité ou la pertinence de l’affirmation. »
En termes d’apprentissage, toujours à travers la taxonomie de Bloom cela permet :
- Connaissance : Avant de débattre, les étudiants doivent d’abord s’armer de faits. Ils recherchent et rassemblent des informations sur le sujet, préparant le terrain pour l’argumentation.
- Compréhension : Les étudiants doivent ensuite comprendre le sujet en profondeur, en anticipant les questions potentielles et en se préparant à expliquer leurs arguments de manière claire et concise.
- Application : Armés de connaissances et de compréhension, les étudiants entrent dans l’arène du débat, appliquant ce qu’ils ont appris pour défendre leur position face à ChatGPT.
- Analyse : Face aux contre-arguments de l’IA, les étudiants sont poussés à analyser leurs propres arguments, à identifier les faiblesses et à décomposer les affirmations pour en vérifier la validité.
- Synthèse : Après avoir pris en compte les objections de l’IA, les étudiants doivent combiner et réorganiser leurs arguments, intégrant de nouvelles informations ou perspectives pour renforcer leur position.
- Évaluation : Enfin, les étudiants évaluent la solidité de leurs arguments face à la critique, réfléchissant à ce qui a fonctionné, à ce qui pourrait être amélioré et à la manière dont ils pourraient aborder des débats similaires à l’avenir.
5. Les défis d’écriture : IA contre humains
Il existe deux variantes de cette approche. Soit le classique duel d’écriture, un thème est donné aux étudiants, à la machine et puis il y a confrontation et amélioration du texte de l’étudiant dans un second texte à rendre. Cela permet de développer les compétences d’écriture des élèves en les mettant au défi de rivaliser avec ChatGPT dans un exercice d’écriture créative, tout en analysant et en comparant les résultats pour une meilleure compréhension des styles et techniques d’écriture.
L’autre variante consiste à produire à l’avance des textes IA et de les proposer aux étudiants pour amélioration. Cela permet de développer la pensée critique des élèves en les confrontant à des textes d’origines variées (humains et IA) et en les mettant au défi de déterminer l’auteur de chaque texte. Cette activité vise à stimuler la réflexion sur les nuances, les subtilités et les caractéristiques distinctives de l’écriture humaine par rapport à celle générée par une IA.