Etude FNEGE 2024 sur les IA génératives et enseignement supérieur en gestion (Goudey, Loupiac, Quinio)

L’impact des IA génératives dans l’enseignement supérieur

L’année 2023 a marqué un tournant décisif dans le paysage de l’enseignement supérieur avec l’avènement des intelligences artificielles génératives (IAG). Ces technologies, incarnées par des outils comme ChatGPT et Claude 3.5, ont bouleversé les méthodes pédagogiques traditionnelles et ouvrent de nouvelles perspectives pour l’enseignement. Dans cet article, nous explorons les résultats de l’étude que j’ai menée avec mes collègues Philippine Loupiac et Bernard Quinio pour le compte de la FNEGE (Fondation Nationale pour l’Enseignement de la Gestion des Entreprises) sur l’utilisation des IA génératives dans l’enseignement supérieur en gestion en France (Goudey, Loupiac, Quinio, 2024).

Les IA Génératives dans l’enseignement supérieur : état des lieux

Adoption différenciée des IA génératives entre étudiants et professeurs

L’enquête révèle un contraste saisissant dans l’adoption des IAG entre les étudiants et les enseignants :

  • Étudiants : 45% utilisent les IAG régulièrement ou très fréquemment. 50% les ayant utilisées pour moins d’un quart de leurs devoirs.
  • Professeurs : 44% n’utilisent jamais ou très rarement les IAG, seuls 6% les utilisent très fréquemment.

Cette disparité souligne un décalage générationnel dans l’appropriation de ces nouvelles technologies. Les étudiants, natifs du numérique, semblent plus enclins à adopter rapidement ces outils, les intégrant naturellement dans leur processus d’apprentissage. En revanche, les professeurs montrent une certaine réticence. C’est peut-être due à une combinaison de facteurs. Le manque de formation, la crainte de perdre le contrôle sur le processus d’enseignement, ou des préoccupations éthiques ressortent dans l’étude.

Ce fossé d’adoption pose des questions cruciales sur l’adaptation nécessaire des méthodes d’enseignement. Comment les professeurs peuvent-ils rester pertinents et efficaces face à des étudiants qui maîtrisent potentiellement mieux ces outils qu’eux ? Comment l’enseignement supérieur peut-il évoluer pour intégrer ces technologies tout en préservant la qualité et l’intégrité de l’éducation ?

Les outils d’IA génératives privilégiés

ChatGPT gratuit domine largement le paysage, utilisé par :

  • 89% des professeurs
  • 94% des étudiants

Les versions payantes de ChatGPT et d’autres outils comme DALL-E et Midjourney sont moins répandus. Ils sont utilisés par environ 20-25% des deux groupes. Cette préférence pour les versions gratuites soulève des interrogations sur la connaissance des capacités réelles des modèles les plus avancés.

La prédominance de ChatGPT gratuit met en lumière plusieurs aspects intéressants :

  1. Accessibilité : La gratuité de l’outil le rend accessible à tous, démocratisant ainsi l’utilisation de l’IA dans l’éducation.
  2. Limitation des fonctionnalités : Les versions gratuites offrent généralement moins de fonctionnalités que leurs homologues payantes. Cela pourrait limiter l’exploitation du plein potentiel des IAG.
  3. Méconnaissance des alternatives : La faible utilisation d’autres outils comme Claude (Anthropic) ou Stable Diffusion suggère un manque de connaissance ou d’intérêt pour les alternatives à ChatGPT.
  4. Enjeux de formation : Cette situation souligne l’importance d’une formation plus approfondie sur les différentes IAG disponibles et leurs capacités spécifiques.

Bénéfices perçus : un potentiel transformateur avéré

Les IA génératives vues par les étudiants

Les étudiants voient dans les IAG un outil polyvalent pour améliorer leur parcours académique :

  1. Gain de temps : 58% considèrent les IAG comme un coach pour les tâches répétitives. Cette perception reflète le désir des étudiants d’optimiser leur temps d’étude, en utilisant l’IA pour automatiser certaines tâches chronophages.
  2. Recherche et analyse : 65% les utilisent pour la collecte et l’analyse de données. Les IAG offrent ici un soutien précieux pour traiter rapidement de grandes quantités d’informations. C’est une compétence essentielle dans le monde professionnel actuel.
  3. Créativité : 48% s’en servent pour développer des idées innovantes. Cette utilisation montre que les IAG ne sont pas perçues uniquement comme des outils de reproduction. Ce sont aussi comme des catalyseurs de créativité.
  4. Compréhension des cours : 46% les utilisent pour mieux assimiler le contenu des cours. Les IAG peuvent offrir des explications alternatives ou des exemples supplémentaires, agissant comme un tuteur virtuel disponible 24/7.
  5. Préparation aux examens : 25% s’en servent comme outil de révision. Cette utilisation plus modérée pour les examens pourrait refléter une certaine prudence des étudiants, conscients de l’importance de maîtriser eux-mêmes les concepts pour réussir leurs évaluations.

Ces différentes utilisations soulignent le potentiel des IAG comme outils d’apprentissage personnalisé. Ils sont capables de s’adapter aux besoins spécifiques de chaque étudiant. Cependant, elles soulèvent également des questions sur la dépendance potentielle à ces technologies. Il est nécessaire de développer des compétences d’utilisation critique et éthique de ces outils.

Les IA génératives vues par les professeurs

Les enseignants reconnaissent le potentiel des IAG pour enrichir leur pratique pédagogique :

  1. Création de contenu : 43% les utilisent pour élaborer du matériel pédagogique. Cette utilisation peut permettre aux enseignants de diversifier leurs supports de cours et de les adapter plus facilement aux besoins spécifiques de leurs étudiants.
  2. Traduction et adaptation : 41% s’en servent pour adapter le contenu. Dans un contexte d’internationalisation de l’enseignement supérieur, cette fonction peut s’avérer précieuse pour rendre les cours accessibles à un public multilingue.
  3. Génération d’exercices : 38% les utilisent pour créer des cas d’étude et des exercices. Cette application peut aider à renouveler régulièrement les supports pédagogiques, offrant ainsi une variété d’exercices pour renforcer l’apprentissage.
  4. Recherche : 35% les emploient pour la recherche et l’analyse de données. Les IAG peuvent ainsi assister les enseignants dans leur veille académique et la préparation de leurs cours.

Ces utilisations montrent que les IAG peuvent être des alliées précieuses pour les enseignants, leur permettant d’optimiser certaines tâches chronophages et de se concentrer davantage sur l’interaction avec les étudiants et la transmission des connaissances. Cependant, l’adoption reste modérée, suggérant qu’il existe encore des réticences ou des obstacles à surmonter.

Freins et limites : des préoccupations partagées sur les intelligences artificielles génératives

Inquiétudes des étudiants

  1. Dépendance et perte d’autonomie : 20% admettent pratiquer le copier-coller des réponses générées. Ce chiffre, bien que minoritaire, est préoccupant car il révèle un risque réel de dépendance excessive aux IAG, au détriment du développement de compétences critiques essentielles.
  2. Intégrité académique : Les craintes liées au plagiat et à la perte de sens dans les travaux sont omniprésentes. L’utilisation des IAG brouille les frontières entre le travail original de l’étudiant et le contenu généré par l’IA, posant des défis éthiques et pédagogiques complexes.
  3. Inégalités sociales : Le risque d’accentuation des disparités numériques entre étudiants est une préoccupation majeure. L’accès inégal aux versions payantes des IAG ou à une connexion internet stable pourrait creuser l’écart entre les étudiants, créant ainsi une nouvelle forme d’inégalité dans l’éducation.

Ces inquiétudes soulignent la nécessité d’une réflexion approfondie sur l’intégration éthique et équitable des IAG dans l’enseignement supérieur. Il est crucial de développer des stratégies pour encourager une utilisation responsable de ces outils, tout en veillant à ce que tous les étudiants aient des chances égales de réussite.

Réticences des professeurs

  1. Manque de formation : 55% citent l’absence de formation adéquate comme obstacle majeur. Ce chiffre élevé met en lumière un besoin urgent de programmes de formation continue pour les enseignants, afin qu’ils puissent maîtriser ces outils et les intégrer efficacement dans leur pédagogie.
  2. Fiabilité des informations : 78% s’inquiètent de la précision et de la véracité des contenus générés. Cette préoccupation souligne l’importance de développer des compétences en vérification des faits et en évaluation critique des sources, tant pour les enseignants que pour les étudiants.
  3. Considérations éthiques : 82% sont préoccupés par les questions de plagiat et d’authenticité des travaux. Ce chiffre élevé reflète la nécessité de repenser les méthodes d’évaluation et les définitions de l’originalité à l’ère de l’IA.
  4. Perte de compétences critiques : La crainte d’une dépendance excessive à la technologie au détriment des capacités analytiques est largement partagée. Cela soulève des questions fondamentales sur la nature de l’apprentissage et les compétences essentielles à développer dans un monde où l’IA est omniprésente.

Ces réticences mettent en évidence la complexité de l’intégration des IAG dans l’enseignement supérieur. Elles appellent à une approche réfléchie et équilibrée, qui valorise l’innovation technologique tout en préservant les fondamentaux de l’éducation et de la pensée critique.

Vers une adoption réfléchie des intelligences artificielles génératives dans l’enseignement supérieur

Face à ces défis et opportunités, il est crucial d’adopter une approche équilibrée et réfléchie dans l’intégration des IAG dans l’enseignement supérieur en gestion.

Recommandations pour les établissements sur les intelligences artificielles génératives

  1. Formation continue : Mettre en place des programmes de formation pour les enseignants sur l’utilisation éthique et efficace des IAG. Ces formations devraient couvrir non seulement les aspects techniques, mais aussi les implications pédagogiques et éthiques de l’utilisation des IAG.
  2. Mise à jour des politiques : Adapter les règlements académiques pour prendre en compte l’utilisation des IAG dans les travaux étudiants. Cela pourrait inclure de nouvelles directives sur la citation des sources IA et la définition de ce qui constitue un travail original dans un contexte d’utilisation des IAG.
  3. Promotion de l’éthique numérique : Sensibiliser les étudiants aux enjeux éthiques liés à l’utilisation des IAG. Cela pourrait se faire par le biais de cours dédiés à l’éthique numérique ou en intégrant ces considérations dans les cours existants.
  4. Investissement dans l’infrastructure : Assurer un accès équitable aux outils d’IA pour tous les étudiants, par exemple en fournissant des licences pour les versions payantes des IAG ou en mettant en place des laboratoires d’IA sur le campus.
  5. Collaboration avec l’industrie : Établir des partenariats avec des entreprises technologiques pour rester à jour sur les dernières avancées en matière d’IA et pour offrir aux étudiants une exposition aux applications réelles de ces technologies.

Pistes pour les enseignants afin d’intégrer les IA génératives

  1. Intégration pédagogique : Concevoir des exercices et des évaluations qui tirent parti des IAG tout en développant les compétences critiques des étudiants. Par exemple, demander aux étudiants d’analyser et de critiquer les réponses générées par l’IA plutôt que de simplement les accepter.
  2. Veille technologique : Se tenir informé des dernières avancées en matière d’IAG pour anticiper leur impact sur l’enseignement. Cela pourrait inclure la participation à des conférences, la lecture de publications spécialisées, ou l’expérimentation personnelle avec différents outils d’IA.
  3. Collaboration interdisciplinaire : Travailler avec des experts en IA pour développer des approches pédagogiques innovantes. Cette collaboration pourrait aboutir à la création de cours hybrides combinant expertise en gestion et en IA.
  4. Adaptation des méthodes d’évaluation : Repenser les modes d’évaluation pour valoriser la pensée critique, la créativité et l’application pratique des connaissances, plutôt que la simple restitution d’informations.
  5. Transparence et dialogue : Encourager une discussion ouverte avec les étudiants sur l’utilisation des IAG, en établissant des lignes directrices claires sur ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas dans le cadre académique.

Conseils pour les étudiants dans l’usage des IA génératives

  1. Utilisation réfléchie : Apprendre à utiliser les IAG comme des outils d’aide à l’apprentissage plutôt que comme des substituts à la réflexion personnelle. Cela implique de voir les IAG comme des assistants pour stimuler la réflexion plutôt que comme des sources de réponses toutes faites.
  2. Développement des compétences critiques : Renforcer les capacités d’analyse et de synthèse indépendamment des IAG. Cela peut inclure la pratique régulière de la lecture critique, de l’argumentation et de la résolution de problèmes sans recours systématique à l’IA.
  3. Éthique et intégrité : Maintenir une approche éthique dans l’utilisation des IAG pour les travaux académiques. Cela implique de citer correctement les sources, y compris lorsqu’elles proviennent d’une IA, et de ne pas présenter le travail généré par l’IA comme le sien propre.
  4. Exploration des limites : Comprendre les forces et les faiblesses des IAG en les testant dans différentes situations. Cela permettra aux étudiants de développer un sens critique quant à la fiabilité et à la pertinence des réponses générées par l’IA.

Conclusion sur les intelligences artificielles génératives dans l’enseignement supérieur en gestion

L’intégration des intelligences artificielles génératives dans l’enseignement supérieur en gestion représente à la fois un défi et une opportunité sans précédent. Bien que les bénéfices potentiels soient considérables, les préoccupations éthiques et pédagogiques ne peuvent être ignorées. L’adoption d’une approche équilibrée, combinant formation (et la formation aux IA génératives est un sujet majeur), réflexion éthique et adaptation des pratiques pédagogiques, sera cruciale pour tirer le meilleur parti de ces technologies tout en préservant l’intégrité et la qualité de l’enseignement supérieur.

En fin de compte, l’objectif doit être de former des professionnels capables non seulement d’utiliser efficacement les IAG, mais aussi de porter un regard critique sur leur impact et leur place dans le monde professionnel de demain. C’est à cette condition que l’enseignement supérieur en gestion pourra continuer à jouer son rôle crucial dans la formation des leaders de demain, à l’ère de l’intelligence artificielle.

Alain Goudey

Imaginer l'Ecole du futur à NEOMA, créer l'identité sonore des marques avec Atoomedia & Mediavea, conseiller sur la transformation numérique avec Sociacom | Expert en éducation, technologies disruptives, IA & design sonore.

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